Transformation digitale

Paradoxe de Solow : le ROI du digital en question

Le paradoxe de productivité (également appelé paradoxe informatique de Solow) est une observation particulière faite dans l’analyse des processus de gestion: à mesure que l’investissement dans les technologies de l’information augmente, la productivité des travailleurs peut baisser au lieu d’augmenter. Cette observation a été fermement étayée par des preuves empiriques des années 1970 au début des années 1990. Ce paradoxe de Solow est revenu à de nombreuses reprises. Il est, malgré nos intuitions contraires, plus que jamais à l’ordre du jour. 

Paradoxe de Solow : le ROI du digital est-il vraiment en question ?

Paradoxe de Solow : le ROI du digital est-il vraiment en question ?
Paradoxe de Solow : le ROI du digital est-il vraiment en question ? — Image produite avec Midjourney

Le paradoxe de Solow est un incontournable de l’économie de la technologie et de l’innovation et pourtant il est largement ignoré des évangélistes de la modernité technologique. C’est dommage, passons un peu de temps pour voir pouquoi il faut s’y intéresser et se pencher à nouveau sur le sempiternel ROI des innovation technologiques et voir que les choses les plus apparemment évidentes le sont aussi souvent le moins.

Paradoxe de Solow : le retour

Paradoxe de Solow
Mc Kinsey a titré sur le paradoxe de Solow, le sous-titre est évocateur : « modernisation digitale (digitization) : pas encore d’impact sur l’augmentation de la productivité ». Tout est dans le « encore »

La mesure du ROI des innovations est une sorte de marronnier, surtout dans le domaine académique. Combien de fois n’ai-je pas entendu, dans les classes des écoles les plus prestigieuses, l’explication toute faite : « l’innovation xxx (remplacez par ce que vous voulez) a échoué du fait d’un manque de ROI ».

Grands groupes et startups Musée des horreurs transformation digitale
Le musée des horreurs de la transformation digitale ayant hélas fermé ses portes pour cause de Covid-19, nous avons repris cet article du fait de son importance

Souvent d’ailleurs, c’est le cas de la littérature académique, on parlera plutôt de productivité que de ROI. Une preuve que l’on mélange beaucoup de concepts, mais que finalement, il est très peu de véritables métriques qui permettraient de tirer des conclusions crédibles de cette réflexion sur l’impact de la transformation digitale.

Car pour ce qui est des impacts du digital sur la transformation du monde du travail, ceux-ci paraissent évidents … sauf que pour mesurer ce fameux ROI, cela est loin d’être facile et encore moins immédiat. Voici ce que nous explique Xavier de Mazenod dans un article qu’il a écrit pour le compte de notre client iRevolution sur ce sujet, dans le cadre de notre projet de Musée des horreurs de la transformation digitale.

Pour illustrer son propos, Xavier cite « une récente enquête auprès des spécialistes du marketing [qui] fournit une preuve flagrante [de cette difficulté à mesurer le ROI] ».

Dans cette étude, on indique que 16 % seulement des spécialistes du marketing ont déclaré être capables de prouver l’impact quantitatif des médias sociaux sur l’entreprise. il s’agit là des médias sociaux, mais il est possible d’étendre cette remarque à tout autre type d’innovation.

Il est en effet très difficile d’identifier l’impact de ces innovations technologiques, surtout à court terme. Il faut du temps pour cela et même parfois beaucoup de temps. Prenons par exemple le fameux paradoxe de Solow, du nom d’un économiste spécialiste du sujet qui a proclamé. Grâce au professeur Yoram Bauman; on sait que le fameux aphorisme de Solow est sorti d’une phrase perdue au milieu d’un article écrit en 1987 dans le NY Book Review.

« Ce que cela signifie [NDLR en parlant des auteurs qui estiment qu’il n’y a pas besoin de prouver la véracité de la révolution technologique produite par l’informatique] est qu’ils, comme tout le monde, sont quelque peu embarrassés par le fait que ce que tout le monde prend pour une révolution technologique, un changement radical dans nos vies professionnelles, a été accompagné partout, y compris au Japon, par un ralentissement de la croissance de la productivité, et non une augmentation. On peut observer l’ère de l’ordinateur partout sauf dans les statistiques de productivité. »

Pourtant, prétendre que l’informatique depuis son avènement (rappelons que l’invention des ordinateurs date des années 40) dans les 70 ans qui nous ont précédé n’a rien changé au mode de travail mis à notre productivité seraient une grossière ânerie. Le seul souci, c’est qu’il il est très difficile de mettre des chiffres sur cette augmentation productivité, même avec un changement aussi énorme que celui de l’informatisation de la société.

A propos du paradoxe de Solow ou paradoxe de la productivité

Poursuivons avec quelques explications tirées du site de l’université de Stanford et traduites par Visionary Marketing :

« Le paradoxe de productivité (également appelé paradoxe informatique de Solow) est une observation particulière faite dans l’analyse des processus de gestion: à mesure que l’investissement dans les technologies de l’information augmente, la productivité des travailleurs peut baisser au lieu d’augmenter. Cette observation a été fermement étayée par des preuves empiriques des années 1970 au début des années 1990.

Ceci est fortement contre-intuitif. Avant que les investissements informatiques ne se généralisent, le retour sur investissement attendu en termes de productivité était de 3 à 4%. Ce taux moyen découle de la mécanisation / automatisation des secteurs agricole et industriel. Avec l’informatique, le retour sur investissement normal n’était que de 1% entre les années 1970 et le début des années 1990.

Un certain nombre de théories proposées ont expliqué le paradoxe de la productivité. Les idées vont de l’idée d’une mesure inadéquate de la productivité à la période de latence nécessaire avant que l’on puisse constater des gains de productivité. Jusqu’à récemment, ces explications n’étaient guère plus que des théories, mais bon nombre d’entre elles ont maintenant des preuves irréfutables, en raison d’études démontrant une forte augmentation de la productivité dans les entreprises qui investissent massivement dans l’informatique.

Ouf, nous voici sauvés, et pourtant le débat fait encore rage parmi les analystes avec le débat entre les sceptiques de l’apport de ROI et les évangélistes, « techno optimistes » contre « techno pessimistes » en quelque sorte.

L’article de Stanford

Un certain nombre de points, évoqués dans l’article de Stanford (pour cela, lire l’intégralité de l’article), viennent appuyer l’analyse. Notons les points principaux :

  • D’abord, la définition elle-même du sujet d’analyse. Dans le cadre de l’article de Stanford on parle de l’informatique, dans le cadre de la transformation on parle du « digital ». Si le vocable de « digitale » et dans son acception informatique intégrée au dictionnaire français depuis 1961 (n’en déplaise aux grincheux qui me répètent sans arrêt qu’il s’agit d’un terme « anglais » alors qu’en fait il s’agit d’un terme latin), la définition même du domaine concerné par le digital reste un sujet de discussion. Pour mesurer correctement une « transformation digitale », encore faudrait-il savoir de quel « digital » l’on parle : informatique, informatique connectée, ou même « tout ce qui est fait de zéros et de uns et qui n’est pas de l’informatique » selon la définition de mon ami Hervé Kabla.

DIGITAL2, ALE, AUX, adj.
[sourcel : Trésor informatisé de la langue française]
Qui est exprimé par un nombre, qui utilise un système d’informations, de mesures à caractère numérique. Système digital. (Quasi-)synon. binaire, numérique; (quasi-)anton. analogique. Le traitement des quantités, est effectué, dans un ordinateur digital, par un organe appelé l’unité arithmétique (JOLLEY, Trait. inform., 1968, p. 207).
Prononc. : plur. [-o]. Étymol. et Hist. 1961 (Lar. encyclop.). Adj. angl. digital notamment dans digital computer « ordinateur digital » (du subst. digit « doigt » mais aussi « chiffre, [primitivement « compté sur les doigts »] ») « ordinateur employant des nombres exprimés directement en chiffres dans un système décimal, binaire ou autre » d’apr. Webster’s. Fréq. abs. littér. : 6.

  • Par ailleurs, les secteurs auquel s’appliquent ces transformations ne sont pas tous égaux. Entre la informatisation de l’industrie et celle du tertiaire, un fossé énorme se creuse qui ne pourra jamais être comblé. Comment comparer en effet l’augmentation de productivité due à l’informatique sur une chaîne de production à l’utilisation de l’informatique dans le travail d’un consultant. Quiconque, et c’est mon cas, a fait du conseil avant la généralisation de l’informatique personnelle sait de quoi je parle : il s’agit d’un monde entre les deux périodes, et là on ne peut même plus parler de productivité mais de transfiguration du métier.
  • Enfin, le temps sur lequel cette transformation doit être calculée puisque comme l’explique notre ami Xavier dans son article il ne peut s’agir d’un retour à court terme.

À la fin de l’article de Xavier vous trouverez également une interview de Kevin Palop qui nous fait part de son expertise sur ce domaine avec des remarques toujours aussi pertinentes

Comment et au bout de combien de temps dégager un vrai ROI ?

Tout business man bien constitué attend un retour sur investissement de ses opérations de transformation digitale. Mais s’il est essentiel de mesurer et de fixer des délais pour ce retour, l’exercice n’est pas simple. Pour Chuck Donnelly, CEO RockStep Solutions « il est essentiel de définir une valeur commerciale claire avec des indicateurs de performance clés pour mesurer vos progrès ». Or, mesurer est difficile et long et chacun doit trouver ses propres critères.

Ce ROI est évidemment différent pour chaque entreprise ou chaque Business Unit. Cap Gemini consulting y a même consacré une étude pour clarifier la méthode : Measure for Measure: The Difficult Art of Quantifying Return on Digital Investments (PDF). Dans cette étude, la société de conseil observe que de nombreuses entreprises ont du mal à calculer le ROI pour les investissements numériques. Par exemple, prouver la valeur des initiatives dans les médias sociaux est notoirement difficile même si les organisations font de leur mieux pour trouver un lien entre des mesures telles que le sentiment des clients et la croissance des revenus.

Elle précise également qu’une récente enquête auprès des spécialistes du marketing fournit une preuve flagrante de cela (voir le graphe ci-dessous). Seulement 16% des spécialistes du marketing ont déclaré avoir été capable de prouver l’impact quantitatif des médias sociaux sur leur entreprise.

Le paradoxe de Solow s’applique peut-être bien aussi aux médias sociaux

Méthode pour évaluer le ROI

Attendre des résultats financiers à court-terme dans une transformation par nature émergente, zigzagante, conduit systématiquement à l’échec. Une entreprise ne raisonnant que par ce prisme n’a aucune chance de soutenir sa transformation jusqu’à terme.

A l’inverse, balayer d’un revers de main toute forme de ROI est aussi problématique. Toute transformation doit prouver qu’elle porte des fruits. Mais les fruits sont différents selon le temps des choses. Un arbre fruitier qui ne donne pas ou n’exprime pas un potentiel sera vite coupé.

Quelle part donner aux résultats quantitatifs et aux résultats qualitatifs ? Définir son ROI dépend évidemment du secteur d’activité, à chacun de fixer ses objectifs. IDC Research a ainsi mené une étude dans le secteur de la logistique qui montre les retours mesurés avec des KPI adaptés au métier : 62% d’amélioration dans la vitesse de résolution des erreurs de livraison ou 1,6% d’augmentation des revenus par organisation.

 

Fixer les bons indicateurs

Selon la temporalité de la transformation, on peut classer les indicateurs en deux catégories : les qualitatifs (par exemple référencement, trafic web et réseaux sociaux, nombre et qualité de commentaires…) et les quantitatifs (CA, marge, acquisition de leads…). Les seconds étant bien souvent les chouchous des directions, car ils se traduisent en espèces sonnantes et trébuchantes. Mais difficiles à obtenir à court-terme.

Le Net Promoter Score est une méthode qui a fait ses preuves. C’est un outil qualitatif, mais il faut être vigilant car c’est un score exigeant, voire punitif, dans son calcul. Mais c’est aussi une méthode qui permet de marquer la progression et l’amélioration d’une démarche au contact direct de ceux qui sont concernés.

Laisser du temps au temps

Le délai pour obtenir des résultats est important. Par exemple une stratégie d’inbound marketing ou de marketing de bouche à oreille demande du temps pour installer les contenus.

Investir dans la durée

S’arrêter au milieu du gué ruinera toute la stratégie. Selon une étude de Deloitte Digital (PDF) les bénéfices d’une transformation digitale prennent souvent du temps à se manifester et nécessitent un changement de mentalité. D’où la nécessité de penser et agir dans la poursuite d’objectifs sur le long terme, avec des étapes à court terme.

Selon cette étude, 94% des répondants ont indiqué que la transformation numérique était un objectif stratégique majeur pour leur organisation. Mais seulement 68% de tous les répondants et seulement 50% des PDG ont indiqué que ces transformations étaient essentielles pour maintenir la rentabilité.

Toujours selon cette étude, les transformations numériques peuvent être considérées comme des investissements « défensifs », pour se protéger plutôt que pour développer leur entreprise.

Développer une culture digitale ou du changement ?

Et si la compréhension du digital par les dirigeants n’est pas toujours parfaite, selon une étude de Constellation research réalisée en 2018 (téléchargez l’étude), on note une maturité des entreprises dans leur réflexion. Les projets de transformation digitale sont de plus en plus souvent portés par les CIO ou CDO. Et même si la mise en œuvre est parfois difficile, pour 68% des entreprises interrogées, les projets de transformation numérique ont engendré un retour sur investissement positif.

On le constate, si toutes les entreprises impliquées dans des projets de transformation digitales ont conscience de l’importance de déterminer leur ROI, beaucoup peinent à y arriver ou à prendre en compte l’importance de prolonger leurs efforts dans la durée.

Le point de vue de l’expert : « Ne pas s’éloigner de son expertise »

Nous avons demandé à Kevin Palop, Business Innovation Expert chez iRevolution, d’illustrer la difficulté de mesure du ROI dans une transformation digitale.

Dans les grandes entreprises, on vit la transformation comme une quadrature du cercle : il leur semble impossible de réconcilier le temps de la transformation et les résultats attendus à court terme.

Question de culture : on n’investit pas des sommes importantes dans un projet ambitieux sans en mesurer rapidement la rentabilité. Soit l’on peut prouver une rentabilité, et le soutien est maintenu, soit l’on n’y parvient pas, et l’on coupe l’effort. C’est là que le bât blesse : la rentabilité, notamment financière, ne peut pas être un objectif court-terme d’une transformation digitale.

Ce qui ne veut pas dire que l’on ne peut pas mesurer certaines formes de performance à court-terme, pour donner le temps au temps de générer le ROI principal.

Une politique du pas à pas

On peut mesurer des résultats au plan qualitatif. Le plus important étant bien de cranter la progression de la transformation avec des ROI concrets pour le métier, même localisés. Par exemple :

  • Les équipes commerciales ont-elles gagné du temps sur la remontée d’information terrain ?
  • La charge du reporting a-t-elle diminué au profit d’activités à plus forte valeur ajoutée ?
  • Sommes-nous capables de prendre des décisions plus factuelles ?

C’est la stratégie des petites victoires concrètes et régulières qui permet d’inscrire la transformation dans un temps plus long au terme duquel des ROI financiers plus forts pourront être démontrés.

Il existe donc un problème de « maturité digitale » pour comprendre le fonctionnement d’une stratégie digitale. Pas de marketing digital sans stratégie ni budget prévu dans la durée.

Mais attention à ne pas confondre la culture du digital et la culture du changement. Dans toute transformation, qu’elle soit liée au digital ou non, la capacité à changer, à s’adapter à une nouvelle façon de faire et d’être, représente le véritable défi. Pas ce qui sous-tend ou permet ce changement.

D’autant plus dans de grandes entreprises où l’effet de masse accroit encore la difficulté à faire bouger des êtres humains qui, dans l’ensemble, n’ont pas vraiment envie de changer.

Une transformation digitale qui nécessite une culture digitale pour réussir manque l’essentiel de ce que doit apporter le digital aujourd’hui : un usage intuitif, évident, non réservé à l’initié, mais bénéficiant de toute la puissance technologique possible. Pour son bénéficiaire, une bonne transformation digitale est transparente au plan technologique. Cela ne doit pas être une question, ni une difficulté supplémentaire pour la personne qui doit déjà accomplir l’effort de faire les choses autrement.

Retrouver iRevolution sur leur site

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »
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