Web crash : le web va-t-il disparaître ?
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Web Crash décrit un monde numérique en pleine mutation. Mais le Web ira-t-il jusqu’à disparaître en 2040 comme le prédit le livre ? Je me suis posé cette question, et bien d’autres, en lisant Web Crash le dernier livre de Maria Mercanti Guérin que j’ai accueillie dans nos locaux. Et la réponse n’est pas simple. Elle nous décrit une situation assez apocalyptique, d’un Web, et aussi de ses utilisateurs, qui sont devenus fous et hors de contrôle. À tel point que la toile pourrait disparaître en 2040 comme le suggère une nouvelle introductive à son livre, écrite par une IA. Une vision assez noire du Web, qui sonne juste sur bien des points. Maria a cependant ponctué notre interview d’une note plus optimiste. Ouf !
Web crash: le Web va-t-il disparaître ?
Maria Mercanti Guérin est l’autrice du récent Web Crash, un livre inventif, fouillé et extrêmement bien documenté qui nous interpelle sur l’avenir du Web. Un Web qui « ne disparaîtra probablement pas en 2040 » nous dit-elle, « mais qui sera extrêmement différent de celui qu’on connaît ».
Un Web qui est en butte à toutes les critiques et dont elle reconnaît que « s’il est parfois nul, à d’autres moments il est très bien »
Je la rejoins quand elle nous dit que « le vrai problème c’est qu’il ne donne pas la meilleure image de lui-même ». Ce qui incite certains leaders d’opinion à le déserter du moins en partie.
Et en effet, en préparant le Numerikissimo 2024, l’annuaire des top acteurs du Web, je me suis rendu compte qu’environ les 2/3 des personnalités du Web français avaient déserté au moins un des réseaux sociaux, souvent X et quasi systématiquement Facebook. Le signe d’un malaise qui ne trompe pas.
Voici le compte-rendu abrégé de mon long entretien avec Maria que vous retrouverez in extenso dans la vidéo et le podcast associés.
Ta vision du numérique est assez noire, comment continuer à l’enseigner ?
J’ai commencé à enseigner le digital il y a presque 20 ans. Au début, c’était un monde de simplicité extrême et très efficace commercialement. Face aux géants des médias traditionnels, le digital était un petit David, très agile et intéressant. En tant que chercheur, c’était un lieu formidable de partage de la connaissance. Mais je l’ai vu peu à peu devenir la proie du mercantilisme et à se complexifier.
J’avais dans mes cours beaucoup de directeurs marketing ou de la communication en formation continue, qui me montraient leurs campagnes, Google Ads ou Facebook et qui me disaient qu’ils étaient déçus.
Cela m’a mis un peu la puce à l’oreille et j’ai commencé à creuser.
Or il est très difficile de se faire une idée. On est face à des quantités de chiffres, de livres blancs, de rapports… mais les éditeurs de ces données sont juges et parties. Ils vous expliquent combien le Web est formidable et à quel point les ROI sont merveilleux, mais ils prêchent surtout pour leur paroisse.
Faut-il donc arrêter d’enseigner le marketing digital ?
Pas pour moi. J’enseigne de plus en plus le Web 3 et je n’ai pas arrêté d’enseigner le marketing digital. Quand on se lance dans le marketing, il y a des quantités de bases à connaître, le marketing digital en fait partie. Je conseille à mes étudiants d’être les plus « techno » possible, de s’intéresser aux nouveautés. Mais j’enseigne différemment.
Avant, dans l’enseignement, on pouvait passer énormément de temps sur Google Ads. Maintenant, je suis moins axée sur les outils.
Ce livre est-il un avertissement ou une remontrance et envers qui ?
C’est une remontrance envers les principaux ordinateurs du Web du fait de ce qu’ils en ont fait. Ce n’est pas une remontrance envers les directeurs marketing. Ils sont pris dans un écosystème dont on ne peut sortir.
Sortir de l’écosystème Google par exemple. Je rencontre des marketeurs qui sont obligés d’arrêter GA 4 par exemple, et cela compte que c’est extrêmement complexe. Ils en ont parfaitement conscience. Je n’ai pas besoin de leur dire.
Je fustigerais plus tous ces parasites des médias sociaux qui gravitent autour du Web et vous promettent de devenir riches. C’est ennuyeux.
Les utilisateurs aussi sont pieds et poings liés. Cela pose d’ailleurs question, y compris pour nos démocraties.
Ce que tu décris n’est-il pas le travers du marketing depuis toujours ?
Oui, mais ici cela prend des proportions énormes. Sur Tik Tok par exemple, il y a 100 000 influenceurs. Si on considère qu’un influenceur est une sorte de média, cela commence à faire beaucoup.
En parallèle, il y a beaucoup d’affaires autour des faux influenceurs, sur le dropshipping, en bref de vilaines affaires de tromperie. Il y a trop de monde sur le marchéLa notion même de marché B2B ou B2C est au cœur de la démarche marketing. Un marché est la rencontre d'une offre et d'une demande et des gens qui se lancent sur le Web et n’apportent aucune valeur.
Quelque part, il y aura un tournant, une sorte de nettoyage, les barrières à l’entrée seront plus grandes et on devra se recentrer sur un Web plus petit, avec moins d’acteurs. Ce ne sera pas plus mal.
Faut-il débrancher Internet ?
Le Web, la couche applicative de l’Internet, est un outil formidable, mais fragile qui peut être complètement submergé par les masses de données, les bots, les hackers, les problématiques de cybersécurité. Par ailleurs, les câbles sous-marins ne sont pas assez sécurisés. Dans des contextes géopolitiques compliqués, on pourrait couper des câbles sans aucun problème et neutraliser ses adversaires.
L’Internet est de plus en plus fragile.
Le combat pour un Web comme espace de liberté est-il perdu ?
Dans le livre, je fais l’hypothèse qu’il restera un Web militant. Pour les médias, le modèle d’abonnement payant ne marche pas, mais le modèle de dons sur certains médias et sur certaines communautés très impliquées fonctionne bien.
Ce Web militant peut vivre avec très peu d’argent et il pourra survivre. Tim Berners Lee, la grande figure du Web, s’est toujours battu contre sa monétisation.
De mon côté, je suis un peu déçue par ce qui arrive au Web3. C’est un Web qui se veut décentralisé et qui s’est créé contre les banques, mais qui devient extrêmement monétisé. C’est un gros point d’interrogation.
Tu as produit la fiction de ton introduction en t’aidant d’une IA. Signe que la fragilité d’Internet est inéluctable ?
Cette fiction a été coécrite avec une IA. Sans moi, elle ne pouvait pas l’écrire, et sans elle peut-être que je l’aurais écrite moins bien ou en tout cas j’aurais mis plus de temps.
En fait, le Web est de plus en plus automatisé, la place de l’homme est en question et ce n’était pas la promesse du départ. Au début, on voyait le Web comme un espace de conversations. Avec le Web 2.0, tout le monde avait son espace d’expression. J’ai beaucoup aimé cette période-là.
En fait, le ver était dans le fruit.
Pour le marketing, en ce moment, je regarde à nouveau vers la télé. C’est un outil intéressant, et la radio également. Quand on parle de campagne de communication générale, c’est une bonne chose de revenir au multimédia et au « cross canal », au bon vieux média planning et de ne pas faire que du digital. Ceci, d’autant plus que les statistiques de consultation du média télévisuel vont bientôt inclure les consultations sur mobiles et ordinateurs et que cela va faire monter les prix d’achat d’espace. Il faut acheter maintenant.
Si les campagnes digitales ne fonctionnent pas, la faute à qui ?
Les marketeurs n’ont pas toujours les bons chiffres, on dispose de beaucoup de KPI, mais beaucoup de directeurs marketing me disent « je n’y comprends plus rien et finalement ce qui m’intéresse c’est l’incrémental ». Les marketeurs sont perdus.
Les achats programmatiques et la gestion des campagnes sont très compliqués.
Le directeur marketing de demain sera-t-il un algorithme ?
Oui, c’est possible, comme le directeur financier ou comme le DRH.
Qui est responsable de l’explosion des CPC ?
Dès qu’un secteur est dynamique en matière de demande des consommateurs, les CPL augmentent. Quand j’ai commencé dans la pub on faisait de la négociation, même si cela s’est compliqué avec la loi Sapin. Aujourd’hui, on ne peut plus rien négocier.
Avec Google Ads par exemple, on a l’impression que si on met plus cher sur la table on va gagner l’enchère, mais en fait non ; à cause du quality score. Quand on passe par des DSP, on ne se parle plus.
Les machines négocient avec les machines, il n’y a plus de contact humain.
Quelles alternatives à la pub en ligne ?
En inbound aussi il y a trop d’acteurs. Trop de sites qui ne cherchent que du Google Adsense, ça n’a plus aucun intérêt. On voit aussi qu’Amazon est débordé par les livres écrits par l’IA. C’est un signe que le rédactionnel sera de plus en plus entre les mains de ces machines.
Mais beaucoup de mes étudiants font du B2BEn réalisant ce glossaire Visionary Marketing s'est heurtée de front à un problème de taille : faut-il écrire BtoB ou B2B ? et je les encourage à faire de l’inbound d’expertise. Dans ce cas-là, on survit.
Les taux d’engagement aussi (page 235) sont tombés à 0 !
Alors oui, alors je pense qu’il y a quand même une sorte de fatigue digitale, qui est due aux réseaux sociaux. Sur Facebook, on n’a plus la photo du petit dernier qui vient de naître, mais par contre, on a la pub de la dernière marque qui arrive sur votre feed. C’est un serpent qui se mord la queue. Les coûts sont énormes, et la monétisation est donc obligatoire, donc on fait de la pub, mais à force, il y a moins de place pour l’UGC et en fin de compte, on ne voit plus les contenus humains.
Quid des nouveaux réseaux sociaux comme Bluesky, Threads et les autres ?
Ce sont des lancements d’opportunités. On profite de la faiblesse d’un réseau qui s’était bien installé pour essayer d’en installer un autre. Mais il y a beaucoup de naissances et beaucoup de morts.
Mais l’internaute lambda a-t-il envie d’investir du temps sur ces nouveaux réseaux ? Il y a une barrière liée à l’adoption, la compréhension du nouveau réseau. Y trouvera-t-il du plaisir ? Je ne suis pas sûre.
Il s’agit plus d’une stratégie d’offre où il s’agit de profiter des derniers micro-océans bleus qui restent. Ce sont des lancements intempestifs et continus de nouveaux produits.
Ce n’est pas un signe que l’on va retrouver les fameuses conversations du Cluetrain Manifesto, je n’y crois pas.
Passons aux jeunes et Internet : tu nous parles du comportement de Fogg
Il y a 3 piliers au modèle de Fogg : la motivation, la capacité et les déclencheurs.
J’ai étudié ce modèle pour comprendre par exemple le jeu du foulard. Pourquoi les jeunes font-ils des choses stupides sur le réseau, qui peuvent même les amener à en mourir ?
Fogg décrit que dans l’univers du Web
- On a la motivation du fait des impressions et des likes
- On y a la capacité, car il est désormais très facile de faire une vidéo courte avec son mobile
- Et on y a des déclencheurs multiples qui peuvent être des incitations « d’amis » de camarades de classe, l’imitation des influenceurs, car on a envie de leur ressembler.
Ces 3 éléments pris en même temps amènent les gens à faire des choses stupides.
J’ai trouvé que ce modèle permettait de bien comprendre les situations et les comportements extrêmes sur le Web.
Est-ce que tu es optimiste ou pessimiste vis-à-vis des jeunes ?
Ça dépend.
Parfois, je me dis qu’ils sont trop souvent sur leur mobile, passifs, et qu’ils ne savent pas servir d’un ordinateur.
Même si je considère que le Web est en train de changer, je leur dis toujours « Faites des choses sur le Web, montez votre site, votre blog, ne soyez pas passifs ! ».
Je me bats contre la passivité. Récemment, je leur ai interdit le mobile en classe, car leur capacité d’attention est trop faible. Je leur demande de prendre des notes et j’ai décidé de revoir totalement la façon dont je fais cours.
Je vais enregistrer tous mes cours, ils devront les visionner avant et dans le temps de cours, on sera actifs. Ces nouveaux usages du Web m’amènent à me poser des questions continuellement sur mon métier d’enseignante.
Mais il faut aussi tenir compte du fait qu’ils n’ont pas la même vie que nous. Quand j’ai fait des études, je me consacrais à 100 % à elles. Aujourd’hui, on demande beaucoup aux étudiants. On leur demande d’être à la fois professionnels, performants dans leur entreprise, de faire des études. C’est très dur pour eux.
Comment vois-tu l’avenir ?
Le mobile est la porte ouverte vers le futur.
Dans Web crash, je décris à la fin du livre différents Web possibles et je parle du Web ICO (interface cerveau-ordinateur). C’est déjà dans les cartons, des bandeaux, des lentilles avec de la réalité augmentée, des lunettes connectées.
Les montres connectées et le mobile sont déjà les précurseurs de ce nouveau Web. C’est un Web qui va s’intégrer à notre corps et il est presque déjà là.
Il va devenir un super 2e cerveau en quelque sorte. Pour moi, ce n’est pas du tout un gadget.
À terme, c’est un point d’entrée sur autre chose de plus intéressant, et peut être plus inquiétant aussi.
Là, Web Crash bascule dans le transhumanisme !?
Certes, mais c’est dans les cartons, tout est déjà prêt. On attend peut-être juste une plus grande acceptation de ces technologies, qui font très peur évidemment.
Tu écris que l’IA générative comme la fin du Web humain, pourquoi ton livre est-il bourré d’images IA ?
Je suis une grande fan de ce que font ces IA. En tant que blogueur, on doit prendre des illustrations dans les banques d’images. C’est très compliqué. Or, là, d’un seul coup, tu as une autonomie totale et tu peux mettre les images que tu veux sur chaque article. Tu as juste à les décrire.
Avec ChatGPT, je me perfectionne sur Air, mais il ne le fait pas à ma place. Il me signale que j’ai commis une faute sur telle ligne de code, c’est tout.
Donc ce n’est pas la fin du Web humain !
C’est la fin d’une grande partie du Web humain quand même.
On se pose des questions. Que vont devenir les CMS ? C’est dommage, car WordPress c’était génial à étudier. Avec ces IA, on fait des e-mails, des posts adaptés à chaque réseau social.
À terme, il y aura beaucoup moins de monde qui travaillera sur le Web et pour le Web.
Combien d’emplois vont disparaître ? C’est un sujet polémique, on ne sait pas. Mais il est clair que pour moi, c’est un tournant pour majeur de l’Internet.
Pour conclure, peut-on inventer un nouveau Web plus respectueux et plus créatif ?
Certains de mes étudiants travaillent sur les serveurs verts, et les sites InternetLe site web B2B est la vitrine digitale de votre entreprise. C'est le moyen le plus simple et efficace de présenter les produits et services de votre entreprise à vos futurs clients. responsables. Il y en a qui ont créé des entreprises tout jeunes sur le sujet. Je suis assez bluffée par ce qu’ils font.
C’est peut-être dans 10 ans que l’on se rendra compte que le Web a tellement changé. Les objets connectés, l’IOT, qui ont déjà trouvé sa place dans les industries et les usines.
Cela va absolument tout révolutionner, et puis il faut être idéaliste dans la vie !
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