Vente et marketing

Petit guide de survie pour marketeur responsable déprimé

Devenir dé-vendeur ou continuer à vendre ?

Le marketeur responsable est plein de bonne volonté mais il se pose aussi beaucoup de questions. Le marketing responsable fait partie de nos engagements. Quand l’Adetem nous a demandé de rejoindre le club du marketing responsable il y a trois ans, une réponse positive s’est bien naturellement imposée à nous. Pourtant les choses ne sont pas si simples et nous nous posons de nombreuses questions. Nous les évoquons lors d’un alternatives forum organisé par Loic Simon le 15 janvier 2023. Ce billet servira de guide à notre keynote, en lieu et place du sempiternel PowerPoint dont nous prendrons congé cette fois-ci. Voici donc vos réflexions sur le sujet qui sont plus des interrogations que du prêt-à-penser idéologique. Notre but profond est d’amener les marketeurs (et les vendeurs) à s’interroger et réfléchir sur leurs pratiques et la conduite à tenir dans cette période à la société tout entière doute et se fracture sur ces sujets, en particulier celui de l’environnement.

Conseils au marketeur responsable déprimé

marketeur responsable
Le marketeur responsable est sûr de son engagement, mais celui-ci est-il efficace ? Le tout est de ne pas déprimer et de garder le cap — image produite avec Midjourney

J’ai intitulé ma présentation, guide de survie pour marketeurs responsables déprimés. Cela me vient d’une anecdote.

Anecdote : le marketeur responsable Eco-anxieux

Un jour, je rencontre un confrère et ami expert en marketing digital et fortement concerné par les récents développements du dérèglement (et non réchauffement) climatique. Il était paniqué, car sa femme venait de donner naissance à un bébé et il était catastrophé par, je cite, « ce monde qu’on laisserait à nos enfants ». J’ai senti qu’il allait craquer, je l’ai rassuré et lui ai conseillé de relâcher la pression. Son écoanxiété (le mot n’avait pas encore été inventé) n’allait sans doute pas servir à grand-chose et encore moins à son enfant qui aurait sans doute plus besoin de confiance, d’encouragements et de perspectives positives.

Marketeur responsable
Ce superbe dessin a été réalisé sur la base de la présentation du guide du marketeur responsable déprimé et de celle de Bruno Delezenne sur la vente responasble. Relativisation, humour et ténacité, voici qui résume très bien la situation – dessin réalisé par Cécile Moline (elicec.fr)

Pourtant, six ou sept ans plus tard, cette anecdote me revient alors que s’achève à peine une COP 28, porteuse des espoirs de beaucoup, pilotée par un magnat du pétrole. Et que la suivante aura lieu en Azerbaïdjan et sera dirigée par un ex-marketeur du secteur des hydrocarbures ! Pire encore, j’ai appris sur France Culture qu’une des organisations phares ayant donné naissance au GIEC avait été elle aussi fondée et dirigée par un investisseur du pétrole canadien (voir le pedigree de Maurice Strong).

À cela, on pourrait ajouter bien d’autres événements ou livres déprimants (de Vaclav Smil à Antoine BuenoAntoine Bueno en passant par Jean-Baptiste FressozJean-Baptiste Fressoz) qui nous montrent que la trajectoire n’est pas bien orientée. Pour paraphraser Fressoz, ajoutons « sans transition » ce rapport de deux experts des mines, qui vous alertent sur le surplusqui vous alertent sur le surplus, et non la raréfaction, des réserves de pétrole dans le monde.

Pire encore, il y a cette intervention que nous avons faite en Tunisie. Alors qu’une centaine de marketeurs se massaient dans les ateliers dédiés à l’IA, le marketing digital ou la méthode agile en marketing produit, l’atelier dédié au marketing responsable a rassemblé deux participants, dont une étudiante.

Les vendeurs et marketeurs (ir)responsables

Nous pourrions ajouter de multiples exemples de marketeurs et vendeurs irresponsables comme ces vendeurs à domicile qui tentent de profiter des personnes âgées en leur faisant signer des contrats alors qu’elles ne s’en rendent même pas compte (expérience vécue), ou ces spammeurs par téléphone, email on LinkedIn qui vous pourrissent l’existence, malgré les lois, les plaintes et les dispositifs techniques. Le marketing et la vente ont toujours été coutumiers de ces pratiques douteuses. Ceux qui se comportent ainsi sont la honte de notre profession et hélas, ils sont souvent montrés en exemple pour leur « réussite ».

Après tout, Seguela écrivait dans les années 80 : ne dites pas à ma mère que je travaille dans la publicité, elle me croit pianiste dans un bordel. Les publicitaires ont toujours été au sommet du marketing, que ce soit pour les louanges ou les critiques.

La publicité du dévendeur de l’Ademe de 2023 a suscité une véritable polémique. On se demande bien pourquoi … ?

Les questions des marketeurs responsables

Tout ceci amène le marketeur sincèrement responsable à se poser beaucoup de questions à un moment où les interrogations sociétales et environnementales ne peuvent plus être ignorées par eux.

Suis-je exemplaire ? Comment contribuer à l’amélioration des choses ? Surtout, comment éviter de travailler à ce qu’elles empirent ? Signer la charte de l’Adetem suffit-il ? Dois-je devenir un dé-vendeur ? Et si oui, comment réconcilier cela avec la discipline et les principes de base de la vente et du marketing ? Et serai-je félicité ou remercié ? La réponse à ces questions n’est sans doute pas simple. Mais on peut toujours conclure, sans doute à juste titre, qu’il veut mieux fournir un effort, si petit soit-il, que de ne rien faire, et dans la mesure de ce qui est possible.

marketeur responsable
Deuxième dessin qui est l’oeuvre de Pierre Vasseur alias PVgraphe pvgraphe.be.ma

Mais revenons à l’anecdote que je citais plus haut. Le marketeur responsable —  ou en passe de le devenir — doit-il désespérer ?

Doit-il être submergé par la tâche à accomplir ? Doit-il dénoncer les abus du greenwashing et des fausses transitions ? Doit-il éliminer les entreprises non éthiques, celles qui évoluent dans les secteurs liés aux hydrocarbures, au tabac, l’alcool et autres substances addictives, au charbon ou qui contribuent à piller les richesses naturelles, qui recourent à l’esclavage moderne, qui vous vendent des nitrites ou vous font boire des résidus de plastiques, manger des pesticides ou contribuent à faire croître les algues vertes au point d’asphyxier les beaux rivages de Bretagne…? La liste est longue. Presque infinie et elle s’allonge tous les jours

Le marketeur responsable n’a pourtant pas le droit de déprimer.

  • D’abord parce que cela ne sert à rien.
  • Ensuite, car s’il est « responsable », il n’est pas forcément coupable. Pour cela, il doit sans cesse s’interroger sur des pratiques et fournir des efforts. Ne pas céder à la facilité et convaincre autour de lui.
  • Troisièmement, car il doit comprendre que l’on ne convainc pas les zélotes, ils finirent par se rendre (ou se suicider) quand ils sont cernés (comme à Massada).
  • Enfin, car il n’est pas possible de penser que l’on peut prendre tous les malheurs du monde sur ses épaules, alors même que l’on n’est pas capable de les résoudre. C’est se mettre trop de pression et se condamner soi-même à la dépression. Ce qui en fin de compte ne contribuera en rien à l’amélioration de la situation.

Tel est mon guide de survie. Il est bien faible, mais en même temps il permet de mieux vivre en paix avec soi-même. Il autorise également à se dire qu’on a tenté de contribuer à améliorer les choses à son petit niveau, à pratiquer un marketing plus respectueux. Cela est sans doute plus facile à faire quand son métier est d’écrire des contenus que si l’on vend des bouteilles d’eau en plastique. Je suis conscient de ces limites. Ce n’est pas non plus un gage d’efficacité, soyons-en conscients.

L’enregistrement de la conférence à l’alternatives forum

Sur le plan environnemental, la situation semble, sinon désespérée, du moins assez grave. Alors, souhaitons avec Antoine Bueno que la catastrophe n’arrive pas, et avec Vaclav Smiil que les humains soient incapables de prédire l’avenir. Ce en quoi ils ont probablement tous les deux raison.

En fin de compte, si les anti-prédictions de ces auteurs se révèlent justes, il ne restera plus du marketing responsable que ces quelques bonnes pratiques que nous aurons mises en place, et c’est déjà beaucoup.

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »

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