RH et transformation digitale : les injonctions paradoxales

RH & Transformation digitale, une conférence CCM Benchmark Group en partenariat avec Visionary Marketing

Le 4 juin 2015, Visionary Marketing était partenaire de CCM Benchmark dans le cadre de leur conférence RH & transformation digitale. J’ai eu à cette occasion la chance d’ouvrir la conférence avec une keynote intitulée : la RH, la transformation digitale et les injonctions paradoxales. J’y décrivais les impératifs de l’innovation qui sont au cœur de la transformation digitale. Les responsables RH des entreprises, élément clé de cette transformation, doivent désormais se les approprier, ceci alors qu’eux-mêmes sont en pleine transformation de leur métier. Ces impératifs – nous en avons pris 6 ici – sont en contradiction avec les méthodes traditionnelles. Il va donc falloir apprendre à vivre avec ces deux extrêmes et faire cohabiter ordre et disruption, car rupture ne veut pas dire « casser ce qui marche ». Il s’agit là d’une véritable gageure pour les responsables RH… y-compris dans les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

RH : révolutionnez vos entreprises, mais ne cassez rien !

Les messages entendus ici et là, y compris en provenance des grands patrons sont – apparemment – simples et sans équivoque : il faut révolutionner l’entreprise, la rendre “ agile  » (au sens informatique du terme), créer la rupture. Plus facile à dire qu’à faire en réalité. C’est même toute la difficulté d’une transformation digitale : celle-ci ne s’adresse pas à une start-up, mais à une entreprise établie. Or, il est plus facile de changer radicalement l’entreprise neuve, surtout quand elle n’a pas d’impératifs de rentabilité (rappelons qu’Amazon n’a jamais gagné d’argent en 20 ans) que de transformer une entreprise existante dont le volant d’affaires est déjà conséquent.

RH faites la révolution mais ne cassez rien (adapté d’une publicité de PWC de 2009)
RH faites la révolution mais ne cassez rien (adapté d’une publicité de PWC de 2009)

RH - Edgar Morin - pensée complexe

Dans ce dernier cas il va vous falloir ménager la chèvre et le chou : instaurer la rupture sans jamais rien casser de ce qui existe. C’est une injonction paradoxale (l’imposition d’une logique contradictoire en provenance d’une personne dominante) et il est vrai qu’on pourrait facilement en devenir schizophrène. Pourtant, l’innovation et l’intrapreneuriat nécessite qu’on fasse vivre ces 2 logiques apparemment incompatibles à tout moment. C’est ce qu’Edgar Morin a appelé la dialogique : car les choses ne sont ni blanches ni noires mais elles sont les 2 à la fois. Il y a d’ailleurs fort à gagner à lire le livre d’Edgar Morin sur la complexité (introduction à la pensée complexe : une livre plus abordable que le gros pavé intitulé la méthode).

RH ou non, la transformation n’est pas un changement

La première chose à retenir, une fois qu’on a intégré qu’il allait falloir faire vivre des choses apparemment contradictoires, c’est qu’un changement et une transformation ne sont pas la même chose. Le changement implique l’évolution d’un état connu vers une autre état connu. Il implique un travail sur soi-même (ou son organisation) pour évoluer, et les méthodes (celles de la “conduite du changement”) sont connues. La transformation quant à elle, implique qu’on évolue d’un état connu vers un état incertain, qu’on apprenne « à marcher en marchant » ; ce qui peut paraître naturel à n’importe quel enfant (donc à chacun d’entre vous lorsqu’il l’a été) et qui pourtant est si difficile à expliquer à un adulte. Surtout que cette évolution vers un état incertain génère souvent de l’angoisse parmi les employés, un élément non négligeable avec lequel les RH vont devoir de plus en plus composer.

6 injonctions paradoxales de l’innovation et de la transformation digitale imposée aux RH

L’innovation, et a fortiori l’innovation digitale, à ses règles du jeu :

  • Pour innover, il va falloir sortir du cadre. C’est une banalité que de le dire. Il est moins banal d’arriver à faire cohabiter cette logique de créativité et d’innovation avec la nécessité de gérer l’entreprise. Et pourtant les 2 sont obligatoires. C’est là une injonction paradoxale ;
  • Deuxièmement, pour innover il faut être en veille permanente et s’inscrire dans le temps long de l’innovation. Ce temps long, on peut en général et en moyenne (ce qui ne peut donc rien dire) le placer à environ 10 à 15 ans. Il faut en effet à peu près ce temps là pour qu’une technologie, lorsqu’elle réussit à sortir du lot et à survivre, s’insère durablement dans le paysage de ses utilisateurs. C’est le cycle bien connu de la traversée du gouffre de Geoffrey Moore que nous avons décrit souvent dans ces pages. Pour permettre à son personnel d’être en veille permanente, il va falloir donc gérer une nouvelle injonction paradoxale : sachez perdre du temps pour en gagner ! une injonction paradoxale rarement bien gérée dans les entreprises très court-termistes où on a tendance à croire que l’innovation sort d’un chapeau et que la “recherche »-développement sert surtout à “trouver”, ce qui est bien entendu complètement faux ;
  • Troisièmement, il va falloir écouter ses clients et ses employés. L’entreprise digitale en mouvement sait en effet faire travailler son personnel en réseau. Il va falloir d’une part déléguer la responsabilité de l’entreprise à ces « ambassadeurs de la marque », et accepter de brouiller les pistes entre vie professionnelle et personnelle. Outre les problèmes psychologiques que cela peut poser à l’entreprise, il est indéniable que le floutage entre vie privée et vie professionnelle est une contradiction avec laquelle les RH vont devoir vivre et qui va devoir être gérée avec les employés mais aussi leurs représentants syndicaux. D’une part, ce brouillage est demandé, recherché et accepté par les employés. D’autre part et en même temps, il suscite des interrogations fort légitimes de la part de ces mêmes employés. Témoin ce débat récent (mai 2015) au Royaume-Uni, débattu publiquement sur la BBC, de la baisse importante de productivité dans ce pays du fait de l’utilisation abusive du mail en dehors des heures de travail. Paradoxalement, en France où on aime bien « protéger » les employés, ce débat est beaucoup moins présent ;
  • Quatrièmement pour réussir l’innovation il faut commencer petit et voir très grand. Il faut donc accepter de structurer l’innovation une fois qu’elle est déjà apparue, et non l’inverse. Il faut donc accepter la rupture et ne pas penser que l’innovation se pilote uniquement du haut vers le bas. Certes, une impulsion managériale est indispensable, mais elle doit être plus incitative que directive pour réussir. Il va donc falloir apprendre, pour asseoir son pouvoir, à en perdre un peu. C’est le dur prix à payer pour susciter l’innovation et la créativité dans ses équipes ;
  • Cinquièmement : il va falloir apprendre le métier des autres, demander au marketeur à devenir un peu plus informaticien et acquérir une plus grande compétence dans la donnée. Et d’autre part, les informaticiens, sous la poussée du Cloud Computing d’infrastructure (IaaS), vont devoir devenir des maîtres d’ouvrage, en appui des métiers. En une sens, ce n’est pas complètement nouveau, cette maîtrise ouvrage déléguée dans les départements IT est courante. Ce qui est nouveau, c’est que ce métier va devenir majeur dans ces départements, et non plus qu’une cerise sur le gâteau ;
  • Enfin, il va falloir faire travailler les générations et cesser de les opposer : cessez d’infantiliser les jeunes (en leur refusant l’initiative et en leur barrant les promotions) et de faire peur aux vieux (avec la fameuse génération Y ou Z, cette bande de Huns sur le chemin de la transformation digitale, prêts à en découdre avec les vieux croûtons, en principe ignares en digital). La compétence digitale n’est pas réservée à une classe d’âge. Les sociologues l’ont déjà démontré et nous aussi.

Il existe d’autres exigences de l’innovation. Nous en avons juste sélectionné six pour cette présentation. Nous aurons l’occasion, dans ces colonnes, de revenir sur les autres impératifs de l’innovation, mais aussi et surtout sur la nécessaire compréhension de ce qu’est, et de ce que n’est pas, une transformation.

Cette vidéo vous permet d’écouter la présentation avec ses commentaires enregistrés

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