Indépendance éditoriale : libérez-vous des plateformes sociales !
Vers la déplateformisation avec Jean-Philippe Timsit
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L’indépendance éditoriale est fondamentale pour les entreprises nous explique Jean-Philippe Timsit, qui vient de sortir son nouvel ouvrage : Déplateformisez ! La stratégie marketing pour construire une audience sur les réseaux sociaux, l’attirer sur votre plate-forme et la transformer en client. Dans cet ebook indispensable, Jean-Philippe dresse le plan de route essentiel pour chaque marque qui désire s’émanciper des plates-formes sociales et recouvrer son indépendance rédactionnelle. Toutefois, les marques qui éprouvent déjà des difficultés avec le content marketing à la papa vont devoir sérieusement monter en compétences. Ou faire appel à de l’aide extérieure.
Indépendance éditoriale : libérez-vous des plates-formes sociales
Voici une interview qui a le mérite non seulement d’être dynamique et fouillée, mais qui donne également des pistes intéressantes pour les marques qui désirent comprendre les évolutions du marketing de contenu en ces temps marqués par l’intelligence artificielle, mais aussi le resserrement des logiques de plate-forme.
L’indépendance éditoriale est un élément incontournable de toute stratégie de contenus
Jean-Philippe Timsit, on n’en attendait pas moins de lui, explique ici fort bien le principe de ces plates-formes dont nous avions déjà décrit la logique stratégique avec Benoît Reillier. Au travers d’une anecdote réelle, il décrit fort bien la façon dont elles mettent la pression sur les créateurs de contenus qui profitent de leurs services. Un signe fort que l’indépendance éditoriale est un élément incontournable de toute stratégie de contenus.
En gros, si on voulait résumer de manière schématique, tout se passe en plusieurs phases assez caractéristiques :
- D’abord, on accueille le créateur de contenus sur cette plate-forme, et tout, ou presque, est possible (phase d’amorçage, seeding, que j’ai traduit par planter)
- Cela génère un enthousiasme qui est souvent communicatif. Cela crée une logique de réseau et amène énormément d’utilisateurs. Ce qui finit par faire grossir la communauté (phase d’« arrosage » ou feeding)
- Puis les conditions se resserrent et deviennent de plus en plus drastiques, les rémunérations offertes aux créateurs de contenus s’amenuisent et finissent même pas disparaître au bout d’un moment (weeding ou élagage).
Nous avons vécu cela sur diverses plates-formes ces 30 dernières années. Cela arrive toujours à peu près de la même manière. Il y a eu beaucoup d’Élisa (le nom de la personne dont JP narre l’anecdote sur Instagram dans son livre) et il y en aura encore beaucoup, car ils sont nombreux à se faire piéger. On se souviendra notamment de Google Adsense dont les rémunérations ont commencé par être très attractives puis se sont réduites comme peau de chagrin. On ne nous y reprendra plus.
La solution : déplateformiser pour retrouver son indépendance éditoriale
La solution que propose Jean-Philippe Timsit en remède à ce problème est la déplateformisation. En d’autres termes, sortir des plates-formes, ou plutôt continuer à prêter son contenu à ces plates-formes sociales pour mieux en sortir.
Le seul hic, c’est que les entreprises qui éprouvaient déjà beaucoup de difficultés avec les logiques de création de contenus traditionnelles (car trop lentes, trop rigides, trop surveillées) doivent encore monter d’un cran dans les compétences. Le marketing digitalDéfinition marketing digital, un terme utilisé en permanence et pourtant bien mal compris car mal défini devient de plus en plus exigeant en compétences (à l’inverse de ce qu’on nous annonce que tout devient facile, car les LLM permettent de produire n’importe quel contenu sans se fatiguer).
Avec la solution proposée par Jean-Philippe, qu’il appelle la méthode du « contenu en cascades », on passe en effet à la vitesse supérieure. La méthode est bien décrite par l’auteur dans son bouquin et dans cette interview. Non seulement est-elle très exigeante en qualité, mais la quantité des contenus à produire est massive. Cela n’est pas fait pour les lambins du marketing, et demande une certaine agilité que j’ai rarement rencontrée sur le terrain.
Il faudra donc que les marketeurs désireux d’exister encore demain par leurs contenus montent rapidement en compétences, et maintiennent ces dernières dans la durée. Ou alors qu’ils s’attachent les services de véritables créateurs de contenus et marketeurs aguerris, qui sauront non seulement créer ces contenus, mais comme le dit fort justement Jean-Philippe, qui auront cette capacité de créer de l’empathie avec leurs publics. Une qualité encore plus rare que les précédentes.
L’interview avec Jean-Philippe Timsit sur l’indépendance éditoriale
Pour commencer, parlons de cette anecdote avec Élisa
JP Timsit : Élisa, ce n’est pas son vrai prénom, est une Parisienne qui travaillait dans le secteur bancaire. Passionnée de mode, elle partageait ses créations sur Instagram le soir et le week-end. Cadre intermédiaire, elle a progressivement commencé à vendre ses créations grâce aux retours positifs de son audience. Son succès grandissant l’a amenée à créer des mini-collections, comme des robes transformées à partir de chemises.
Elle a mis en place un module de vente sur Instagram et, constatant que ses revenus approchaient de ceux de son emploi bancaire, elle a décidé de se consacrer entièrement à cette activité. Son calcul tenait la route : avec son appartement parisien et sa situation familiale, le changement était viable financièrement.
Initialement, tout fonctionnait parfaitement…
Initialement, tout fonctionnait parfaitement. Avec plus de temps disponible, elle augmentait sa production et ses ventes sur Instagram Shopping — un module principalement destiné au B2CEn réalisant ce glossaire Visionary Marketing s'est heurtée de front à un problème de taille : faut-il écrire BtoB ou B2B ?, bien qu’utilisable en B2B. Son audience était engagée, ses publications matinales généraient beaucoup d’interactions.
Que s’est-il passé ensuite ?
JPT : Un jour, sa publication habituelle n’a reçu que trois « j’aime » au lieu des centaines habituels. Le phénomène s’est répété pendant plusieurs jours. Élisa était victime d’un « shadowban ». Cela signifie que l’algorithme d’Instagram l’avait rendue invisible. Plusieurs facteurs peuvent sous-tendre cette situation : un signalement en masse par des concurrents, l’utilisation de mots-clés sensibles, ou un conflit avec d’autres utilisateurs.
Cette expérience n’est pas isolée. Depuis la publication de mon livre, j’ai reçu de nombreux témoignages similaires d’entrepreneurs qui ont vécu la même situation. Cela illustre la vulnérabilité des entreprises face aux plates-formes sociales.
Pour comprendre les stratégies de plates-formes, lire ce billet.
Comment l’atteinte à l’indépendance éditoriale affecte-t-elle les entreprises ?
JPT : Les plates-formes sociales comme TikTok, Facebook ou LinkedIn, qui comptent respectivement plus d’un milliard, 2,4 milliards et plus d’un milliard d’utilisateurs, sont essentiellement des plates-formes publicitaires B2B. Leur modèle économique repose sur la vente de publicité ciblée aux entreprises, nécessitant une compréhension approfondie du comportement des utilisateurs.
Il faut comprendre que ces plates-formes sont devenues dominantes grâce à des techniques stratégiques modernes. Alors que beaucoup d’entreprises utilisaient des outils d’analyse traditionnels, ces plates-formes ont développé une approche centrée sur le client, créant des liens émotionnels avec leurs audiences.
l’indépendance éditoriale est un passage obligé pour reprendre la main
Une telle stratégie « moderne » ne se construit plus à partir de l’analyse des concurrents ou du marchéLa notion même de marché B2B ou B2C est au cœur de la démarche marketing. Un marché est la rencontre d'une offre et d'une demande, mais du comportement du consommateur. L’offre d’une entreprise ne doit plus être considérée comme un simple produit à commercialiser, mais comme une réponse à un problème identifié. La méthodologie consiste d’abord à comprendre finement l’audience et ses problématiques, puis à développer une offre qui y répond directement.
Quand Google a inauguré cette approche en 1998, suivie par Facebook, YouTube et Amazon, c’était une véritable innovationL'innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l'environnement stratégique. Bien que cette approche ne soit plus nouvelle aujourd’hui, elle reste paradoxalement très peu mise en œuvre, particulièrement dans les entreprises françaises qui continuent majoritairement à concevoir leurs offres de manière traditionnelle.
Comment les entreprises peuvent-elles recouvrer leur indépendance éditoriale ?
JPT : La solution passe à mon avis par une stratégie de déplateformisation structurée. Premièrement, il faut créer un lien émotionnel avec l’audience. Cela commence par une analyse approfondie des personas, en comprenant les mécanismes de prise de décision des consommateurs.
Ces personas doivent être spécifiques à votre offre. Il ne s’agit pas de créer des profils statiques, car les comportements des consommateurs évoluent constamment. Je recommande de développer entre 8 et 10 personas pour une approche équilibrée.
Concrètement, comment mettre en place une stratégie de contenu efficace dans ce contexte de déplateformisation ?
JPT : pour cela, j’utilise une matrice de génération de contenus. Prenons l’exemple d’un boulanger qui identifie ses 10 principaux problèmes et ses 10 solutions principales. Le croisement dans une matrice 10×10 génère 100 combinaisons possibles, soit dans l’exemple choisi, 10 modèles de pains qui correspondent à 10 expériences de consommation différentes. Avec six modèles de rédaction différents pour chaque croisement, vous obtenez 600 possibilités de contenus.
Peux-tu décrire ta vision du « persona » ?
JPT : L’approche des personas doit être simplifiée pour se concentrer sur l’essentiel : comprendre les mécanismes de prise de décision des consommateurs. Contrairement à la conception américaine qui présume des comportements stables, nous devons reconnaître la nature versatile des individus. Les comportements évoluent en fonction des rencontres, du contexte professionnel, de la situation familiale et de nombreux autres facteurs.
Les personas doivent donc être créés en relation directe avec une offre spécifique, qu’il s’agisse de cinéma, de restauration ou de tout autre service. L’objectif est d’identifier les différents facteurs qui influencent la décision d’achat : le prix pour certains, la notoriété de la marque pour d’autres, ou encore le design du produit.
Cette diversité comportementale nous conduit à créer des groupes homogènes d’individus. Une segmentationStricto sensu, segmenter signifie diviser son marché en sous-ensembles (segments) qui constituent des groupes homogènes et distincts efficace comprend généralement entre 8 et 10 personas, un nombre qui permet de capturer les principales variations comportementales tout en restant gérable. Les très grandes entreprises peuvent en développer davantage (70-80…), mais pour la plupart des organisations, un nombre plus restreint est préférable.
L’étape suivante, le « personaLe persona B2B permet de définir qui sont vos acheteurs cibles. scoring », consiste à évaluer et hiérarchiser ces personas selon leur importance stratégique pour l’entreprise. Cette priorisation est unique à chaque organisation : dix entreprises différentes développeront des personas et des classements distincts.
Je privilégie, pour ce travail, les approches qualitatives. Pour cela, la qualité des entretiens est cruciale. Plus on multiplie les interactions, plus les profils convergent vers des personas stables et pertinents.
Pour faciliter ce travail, les outils d’IA comme Claude.ai ou ChatGPT peuvent être précieux. Je recommande particulièrement l’utilisation de plates-formes comme Open Router qui permettent d’accéder à plusieurs IA et de comparer leurs résultats. Claude excelle pour les contenus créatifs, tandis que ChatGPT est plus performant pour les aspects formels.
Comment utiliser concrètement les personas pour déplateformiser ?
JPT : Une fois les personas identifiés, l’enjeu est de s’adresser à eux efficacement. Contrairement à ce que suggèrent les plates-formes, qui recherchent une production massive de contenu, la qualité et la fréquence de publication sont fondamentales. La méthode repose sur deux piliers : le copywriting et la création d’un lien émotionnel avec l’audience.
L’approche « problème-croyance-solution » est particulièrement efficace. Elle commence par l’identification d’un problème spécifique à l’audience, expose les croyances communes à son sujet, puis propose une solution pertinente. Cette structure s’applique aussi bien aux publications écrites qu’aux contenus vidéo ou audio.
Le choix des plates-formes est crucial. Un même individu adopte des comportements différents sur LinkedIn, Facebook ou Instagram. La présence sur un réseau social ne doit pas dépendre de nos préférences, mais de la localisation de notre audience. L’exemple de TikTok est révélateur, peu importe notre familiarité avec la plate-forme, si notre cible s’y trouve, notre présence y est indispensable.
Chaque plate-forme a ses propres règles de publication : maximum deux fois par jour sur LinkedIn, jusqu’à dix publications quotidiennes sur Twitter, trois sur Instagram. La régularité est essentielle, avec un minimum d’une publication quotidienne.
Est-ce déplateformiser ou multiplateformiser ?
La multiplication des plates-formes sans stratégie claire présente un risque majeur : créer de la valeur pour les réseaux sociaux plutôt que pour notre entreprise. L’objectif final est de rediriger l’audience vers notre propre plate-forme, où se réalise notre activité principale.
OK, mais comment contourner les plates-formes sociales qui pénalisent le contenu en propre ?
JPT : La création d’une plate-forme propriétaire est essentielle, conçue comme un « tiers lieu » digital. Cette plate-forme centralisée, visible sous forme de site webLe site web B2B est la vitrine digitale de votre entreprise. C'est le moyen le plus simple et efficace de présenter les produits et services de votre entreprise à vos futurs clients. pour l’utilisateur, intègre divers services : landing pages avec des services comme CARD, des CRM comme HubSpot ou Pipedrive, des solutions de newsletter telles que Kit. L’architecture moderne d’un site web repose sur l’intégration de services indépendants hautement performants.
La stratégie de contenu repose sur la technique des « contenus en cascade ». Elle débute par la création d’un contenu premium substantiel — webinaire, livre blancLe livre blanc (ou whitepaper ou position paper) est un des piliers d’une stratégie de content marketing B2B. Il est la preuve de votre expertise., étude approfondie — diffusé selon un rythme hebdomadaire ou mensuel adapté aux ressources de l’entreprise. Ce contenu principal est conçu pour être fractionné en 5 à 6 déclinaisons plus courtes.
L’adaptation aux contraintes de chaque plate-forme est cruciale. Sur Instagram, le lien peut être placé en premier commentaire. Sur LinkedIn, des stratégies alternatives doivent être employées pour contourner les restrictions sur les liens externes. L’objectif est d’optimiser l’investissement dans la création de contenu : un webinaire bien conçu peut être transformé en newsletter, articles de blog, et contenus courts pour YouTube.
Le copywriting joue ici un rôle crucial dans la différenciation. Chaque déclinaison de contenu doit apporter un angle nouveau tout en maintenant une cohérence narrative. L’art consiste à faire « rebondir » les contenus entre eux sans donner l’impression de répétition.
Comment concilier qualité et quantité dans la production de contenu ?
JPT : Qualité et quantité ne sont pas antagonistes, c’est une question de méthodologie. La « matrice de génération de contenus » est particulièrement efficace, même pour les débutants. Reprenons notre exemple du boulanger : on identifie d’abord ses dix principaux problèmes clients (comme la gourmandise ou le besoin de gâteaux d’anniversaire) et dix solutions correspondantes.
En utilisant ChatGPT ou Claude — ce dernier étant plus performant pour les tâches créatives —, on peut générer ces listes rapidement. La matrice 10×10 qui en résulte crée 100 intersections problème-solution. Avec six modèles de rédaction différents pour chaque intersection, on obtient 600 possibilités de contenu en quelques minutes de préparation.
Quelle plate-forme d’IA recommandes-tu pour cette méthode ?
JPT : Je recommande Open Router, une plate-forme qui permet d’accéder à plusieurs IA et de payer à l’usage. ChatGPT est plus performant pour le contenu formel, tandis que Claude excelle dans la création. Cette approche permet de comparer les résultats et de choisir la meilleure option selon le type de contenu.
Comment passer d’une publication mensuelle à une production de contenus en cascade ?
JPT : L’écriture web est une compétence technique qui repose sur des schémas rédactionnels (« patterns ») spécifiques. Contrairement à l’écriture artistique qui privilégie l’expression créative, le copywriting vise à générer une réaction précise chez le lecteur. Notre objectif n’est pas de créer des œuvres littéraires, mais de construire un lien avec l’audience à travers des histoires pertinentes.
Cette transition vers l’indépendance éditoriale s’opère en quatre étapes
- Maîtriser deux ou trois techniques de copywriting fondamentales
- Identifier ses personas et leurs canaux de prédilection
- Développer des matrices de production de contenu structurées
- Appliquer des schémas de rédaction (« patterns ») adaptés
Prenons l’exemple des newsletters : la plupart des entreprises commettent l’erreur de parler d’elles-mêmes, alors que les lecteurs s’intéressent uniquement à ce qui les concerne directement. Une newsletter B2B efficace doit être tactique et centrée sur la valeur ajoutée. Un distributeur industriel qui envoie chaque lundi une newsletter promotionnelle avec des offres limitées crée une véritable attente chez ses clients parce qu’elle impacte directement leur activité.
Le succès ne réside pas dans la créativité artistique, mais dans la pertinence business. La montée en compétence sur ces techniques est essentielle, mais il ne faut pas hésiter à faire appel à des professionnels qui maîtrisent déjà ces méthodologies.
Je comprends, mais la majorité de nos lecteurs ont du mal à écrire un article par semaine…
JPT : La plupart des gens ont en effet l’angoisse de la feuille blanche. Mais les outils LLM doivent permettre de résoudre ce problème et de le dépasser.