IA : les marketeurs seront-ils les OS du 21e siècle ?
Table ronde IA et marketing du CMIT, janvier 2024
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Nous nous sommes rendus hier au trophée start-up de la Martech organisé par le CMIT et animé par ITFacto. Nous avons assisté ainsi à une table ronde intitulée « L’IA et ses impacts sur le marketing, de la génération de contenu à la fiabilisation des opportunités ». Ce débat rassemblait un panel de choix (voir ci-dessous) et le débat était animé par Olivier Coredo d’ITfacto. Le sujet était prometteur, mais je dois avouer qu’il a suscité de nombreuses réflexions. Nous les partageons avec vous, en même temps que nous vous livrons un résumé de ce qui s’est dit dans la table ronde. La question que nous nous sommes posée est : les marketeurs sont-ils devenus les OS du 21e siècle ?
IA : les cols blancs seront-ils les OS du 21e siècle ?
Ce débat intitulé « l’IA et ses impacts sur le marketing, de la génération de contenu à la fiabilisation des opportunités » était organisé par le CMIT dans le cadre du Trophée Start-up Martech de 2024 qui s’est tenu au siège de la BPI à Paris, le 31 janvier. La table ronde rassemblait :
- Ashok Azhagarasan, directeur marketing, OSS Ventures
- Nicolas Beaumont, directeur général, ITFacto
- Henri Leben, avocat associé, délégué à la protection des données
- Cécile Schuster, head of Microsoft business applications, Microsoft France
Elle était animée par Olivier Coredo d’ITFacto
Démystifier l’IA générative dans son usage en marketing
L’animateur a été clair dès le départ : « Il faut démystifier l’IA générative », nous a-t-il dit en substance ». D’aucuns ont peur, d’autres s’émerveillent, où est la réalité ? » La question est valide et nous attendons d’ailleurs toujours une réponse à cette interrogation fondamentale.
Le débat a commencé par l’intervention de Cécile Schuster dont la mission fixée par l’animateur était justement de démystifier l’IA générative. Elle n’a pas véritablement cherché à nous rassurer toutefois. Certes, elle a déclaré « qu’on en parlait depuis longtemps », ce qui n’étonnera pas les gens comme moi qui ont commencé leur carrière dans l’intelligence artificielle il y a de longues décennies. Mais elle a ajouté que « maintenant l’intelligence artificielle a un impact sur les cols blancs depuis l’avènement de l’IA générative ». De quoi susciter quelques interrogations.
Nicolas Beaumont, directeur général d’ITfacto (Le Monde Informatique, CIO, Le Moci, MyFrenchStartup…) a abondé dans le sens de Cécile Schuster. Ce n’est pas nouveau nous a-t-il dit. « On a eu second Life et on a cru que ça allait révolutionner le marketing », mais ce n’est pas arrivé. Et de poursuivre en ajoutant que « l’intelligence artificielle on y croit beaucoup on essaie et on teste, car dans notre métier nous avons des enjeux d’exhaustivité de qualité de productivité ».
Il détaillera d’ailleurs par la suite un usage très intensif chez ITFacto de ces IA génératives. C’est là que ça devient intéressant :
« Nous avons testé pour écrire un livre blancLe livre blanc (ou whitepaper ou position paper) est un des piliers d’une stratégie de content marketing B2B. Il est la preuve de votre expertise. en quelques minutes », nous a-t-il dit. « On ne savait pas par où l’aborder alors on a pris un scientifique qui a fait le tour du potentiel, et ensuite on a regardé du côté des littéraires. Puis nous avons chargé deux ingénieurs de développer des applications autour des outils du marchéLa notion même de marché B2B ou B2C est au cœur de la démarche marketing. Un marché est la rencontre d'une offre et d'une demande et nous obtenons ce que nous voulons ! ».
ITfacto a choisi un chemin différent de celui proposé par OpenAI (ChatGPT/GPT, etc.). Elle a développé les applications qu’elle met à disposition de ses équipes. À titre d’exemple concret il nous ce livre blanc pour inciter les jeunes talents à changer d’ESN, qui comme on le sait ont de gros soucis de recrutement et d’attractivité.
« Il a fallu structurer le chapitre et orienter ce livre blanc et trouver un angle, nous avons réalisé des cas contextuels (ceux qui cherchent de l’argent, un encadrement, etc.), mais ce sont les marketeurs qui ont fait les contenus ».
Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris à ce que les marketeurs ont réellement fait cependant, ni sur le temps réel qu’il a fallu pour écrire ce livre blanc. Il nous a néanmoins rassurés, ITfacto ne travaille pas sur des données publiques comme celles du greffe, par exemple. Ouf ! Enfin de l’information exclusive, on va peut-être sortir du bâtonnage.
Le marketeur de demain sera-t-il un ouvrier spécialisé du contenu ?
On peut néanmoins se poser la question de savoir où se situe la fameuse valeur ajoutée du marketeur.
Un peu plus loin, il nous a expliqué que cette valeur ajoutée était sur la créativité. Mais si l’IA générative, qu’il s’agisse de ChatGPT ou d’un autre outil même d’un applicatif réalisé par un ingénieur, propose des idées que l’homme n’a plus qu’à valider ou invalider en cochant des cases, le métier de « créateur de contenu », qui est un des métiers d’ITfacto, n’est-il pas en train de devenir un métier d’ouvrier spécialisé ?
Dans ce métier B2B très haut de gamme, personne ne contredira le fait que le contenu est véritablement roi. Ce n’est peut-être plus le cas dans le B2CEn réalisant ce glossaire Visionary Marketing s'est heurtée de front à un problème de taille : faut-il écrire BtoB ou B2B ?. Personnellement, je pense même que la messe est complètement dite dans ce domaine. Mais pour le spectre d’ITFacto, le contenu devrait être au sommet de la pyramide de valeur dans ce qui est vendu au client. D’autant plus quand on édite plusieurs médias. On peut se poser aussi la question du prix d’un pareil contenu.
Dans ce contexte, est-ce à la machine de proposer des idées et de laisser l’homme choisir et cocher les bonnes cases, ou à l’inverse à l’homme d’avoir les idées et de demander à la machine de cocher ces cases ? La question mérite d’être posée.
Ce qu’il y avait de particulièrement intéressant dans cette conférence se trouvait dans la salle du cocktail qui a suivi la présentation et la remise des trophées qui ont d’ailleurs couronné des sociétés qui n’étaient pas spécialement dans l’intelligence artificielle générative proprement dite.
Les échanges avec mes confrères, notamment les créateurs de contenu et marketeurs, étaient très clairs. « Dans nos métiers et dans l’écriture de contenu, nous n’avons pas trouvé d’avantages à écrire avec ces outils », m’ont confié ces confrères. Certains ont déclaré vouloir « débrancher l’IA » tant la répétition du sujet devient lassante. Une consœur m’a fait part « de ces outils imposés par la Corp censés nous faire gagner du temps, mais qui nous en font perdre et qui deviennent une dictature (en substance) ».
Le temps passé à contrôler un contenu produit artificiellement par une machine, même s’il est statistiquement viable, n’a pas d’intérêt et surtout, n’est pas vendable par un fournisseur de contenu B2B haut de gamme. Alors pourquoi le serait-il pour un fournisseur de contenu média pour un client ?
J’ai la sensation que mes élèves de M1 et M2 ont plus de recul sur ces sujets que la plupart des professionnels plus âgés. Je me demande bien pourquoi.
Les clients du futur se satisferont-ils de livres blancs écrits par des machines, dont quelques cases auront été cochées par des êtres humains plus ou moins responsables? Et qui probablement dans le futur le seront de moins en moins. La fainéantise n’est pas le trait caractéristique des humains le moins partagé et si le pire n’est pas certain, il est néanmoins probable.
Tout cela m’a fait réfléchir.
Mais le témoignage d’Ashok Azhagarasan était encore plus parlant.
IA et marketing : quand les marketeurs raclent les fonds de bases de données
« Nous « scrapons » (ou raclons en français) les informations et nous scannons les blogs et nous créons des articles SEO en 2 jours au lieu de 3 mois. Nous amenons jusqu’à 10 000 visites en un rien de temps », nous a-t-il dit, « on scrape, on cleane et on pousse des contenus. On réalise aussi des générations de voix et de vidéos ».
Et de mentionner d’ailleurs la facilité avec laquelle on peut fabriquer des Deep fakes avec la voix de Joe Biden ou de n’importe qui.
Henri Leben, le juriste de la table ronde, a « admiré le dynamisme du scraping », mais a tout de même fait remarquer que cela pourrait coûter cher. Même si ses justes rappels à l’ordre du RGPD paraissaient bien vains tant celui-ci est parti en vacances dans les officines de marketing les moins scrupuleuses, il y a si longtemps. 5 ans après, on peut voir se multiplier ces pratiques non éthiques et même carrément illégales, et on peut légitimement se demander ce que fait la police.
Je crois qu’ici on touche à un problème déjà souligné par notre confrère Mark Schaefer dans un article célèbre sorti il y a quelques années, mais toujours valable.
Why marketing technology is sucking the life out of the marketing profession
Dès qu’il y a une opportunité, certains marketeurs peu scrupuleux utiliseront la puissance de la technologie pour faire à peu près n’importe quoi qui soit non éthiqueL’éthique du marketing couvre un champ très vaste de thématiques. Il faut tout d’abord voir l’éthique du marketing comme une sous-branche de l’éthique des affaires. et abusif. Certes comme le fait remarquer Ashok, « certaines personnes ont répondu, car elles ont cru que c’était une personne qui leur parlait » et on ne peut nier que la puissance de ces outils génératifs est justement d’essayer de faire croire, c’est le test de Turing, que c’est une personne humaine qui parle ou qui écrit. Toute la nuance est dans le « faire croire ».
IA et marketing, une vieille histoire ?
Toutefois, on connaît cette histoire. Elle s’est répétée maintes fois par le passé. D’abord on « scrape » et on noie tout le monde de messages. Comme cela s’est passé sur LinkedIn il y a quelques années. Puis, au fur et à mesure, la lassitude s’installe et les ripostes se mettent en place. Les réponses des clients à ces spams, osons le mot, sont de plus en plus molles. Au bout d’un moment, ce qui marchait très bien, comme tout le monde le pratique et sature le marché, ne marche plus du tout, et pour couronner le tout les plateformes finissent par donner un grand coup de bâton pour tuer tout ça.
L’apparence de la modernité, mais des méthodes de dinosaures
Ces méthodes de bourrins sont des approches d’un autre âge. Elles ont l’apparence de la modernité. S’élever contre elles peut vous faire passer pour un dinosaure, mais en fait ce sont ceux qui les pratiquent qui sont des dinosaures et qui méritent de disparaître.
D’ailleurs, fidèle à ma prédiction d’il y a quatre ans je pense sincèrement que cette génération de contenu par l’IA en masse finira par étouffer ceux qui s’en servent et si je ne suis pas de ceux qui refusent d’utiliser ces outils, mais au contraire les pratiquent régulièrement depuis de nombreuses années, je suis beaucoup plus favorable à ces outils dits « discrets » qui remplissent une seule tâche avec beaucoup d’efficacité et de productivité, à l’opposé des IA génératives, surtout quand elles sont mal utilisées.
Pour conclure, la position de Microsoft avec son nouvel outil copilot est intéressante à suivre. Non seulement parce qu’indéniablement Microsoft marque un point vis-à-vis de Google, et pourrait même porter un coup fatal à ce dernier. Mais aussi parce que les échos que j’en ai sur le terrain et par ma propre utilisation ne sont pas toujours aussi élogieux que ce que l’on pourrait croire. Un confrère m’a même confié qu’il avait payé 20 € par mois, mais « que cela ne fonctionnait pas ».
Comme je l’ai fait remarquer déjà par le passé, l’usage de ces outils va s’installer dans le temps. Je sais l’impatience des utilisateurs et des technolâtres, mais il leur faudra être patients, la véritable « révolution » technologique ne pourra être déclarée que quand nous aurons eu suffisamment de recul.
Pour ceux qui ne s’en souviendraient pas, il y a plus de 10 ans, on nous prédisait que toutes les voitures se conduiraient de manière autonome [en fait, on nous le prédit depuis les années 70, je me souviens de mes lectures dans Science & Vie de l’époque]. 15 ans plus tard, nous y sommes encore et ce n’est pas véritablement une réussite ni même une perspective du futur immédiat.
Nous reviendrons bientôt dans notre article, écrit pour Digimind en 2024, sur cette notion de révolution technologique et sur les nuances à y apporter.
En attendant, nous continuerons à travailler, chez Visionary Marketing, pour que les marketeurs ne deviennent pas des ouvriers spécialisés et continuent à faire fonctionner leurs petites cellules grises.