Génération Y : les adolescents plus doués pour l’IT et Internet ?

Le rapport Robson fit grand bruit il y a à peine un an en Grande-Bretagne. Passé plus ou moins inaperçu en France, ce rapport est cependant d’une importance capitale si l’on veut comprendre et décoder l’un des clichés majeurs de ce début XXIe siècle : la génération Y (qu’on retrouve d’ailleurs cité sous divers vocables, tous plus ou moins précis, millenials, digital natives etc.)

Génération Y : les adolescents plus doués pour l'IT et Internet ?
Génération Y : les adolescents plus doués pour l’IT et Internet ?

le rapport publié par Morgan Stanley et intitulé « média et Internet, comment les adolescents consomment les médias » est un des exemples les plus frappants de circulation d’informations à l’échelle de la planète (on omettra ici la France, pour d’évidentes raisons linguistiques, ceci n’enlevant rien à la diffusion mondiale de ce rapport).

Matthew Robson – un stagiaire de 15 ans à qui des représentants de l’entreprise ont demandé de rédiger un rapport sur son usage des médias et celui de ses pairs – n’a plus besoin de travailler sur son e-reputation, du moins outre-Manche. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, ce rapport était sur toutes les lèvres, dans tous les journaux, et surtout … sur tous les ordinateurs.

Génération Y : les adolescents plus doués pour l’IT et Internet ?

Plus encore, ce rapport est utilisé comme une preuve tangible d’un véritable phénomène de société lié aux jeunes générations et à leur façon d’appréhender les médias. Au contraire, je suis d’avis qu’il s’agit d’un exemple typique de la façon dont les adultes – et non les « jeunes » – consomment les médias, et notamment l’Internet qui, soit dit en passant, n’est pas un média (je passe sur le terme de « consommer » qui ne me paraît pas approprié ou plutôt qui relève aussi d’une philosophie intéressante).

  1. Ce rapport fut repris pour argent comptant comme dans cet article du Guardian, sans analyse, ni remise en cause du rapport lui-même. Ceci est typique d’une culture du copier-coller qui a rattrapé le journalisme, on le déplorera ;  je ne pense pas que les journalistes soient des adolescents.
  2. Les adolescents quant à eux sont différents des adultes, on peut admettre cette généralisation. Cela veut-il dire que quand les adolescents deviennent des adultes, leurs goûts resteront les mêmes ? Il est fort à parier que non. Du moins on l’espère. Certes, il en est qui oublient de mûrir, ceci en soi n’est pas nouveau.
  3. Le marketing de masse a appris aux adolescents à se comporter comme des consommateurs plus que des êtres humains, d’où le sentiment – plus acquis qu’inné – qu’ils forment une race à part. Mais en fait, rien n’est plus faux. Les adolescents sont des adultes en devenir et devraient être traités ainsi, ni stigmatisés, ni idéalisés. La jeunesse n’est pas éternelle.
  4. La génération Y – un concept attrape-tout qui ne veut rien dire tant il est large – est censée être plus douée en informatique, surtout sur Internet, que les générations précédentes. En vérité, une étude en profondeur (et confidentielle) réalisée par Orange pour un échantillon de lycéens de 15 ans il y a quelques années a démontré que cela n’était pas vraiment soutenu par les faits. Les ados sont en effet meilleurs quant à l’usage de certaines technologies comme la messagerie instantanée et ils sont les praticiens du multitâche permanent – ceci n’est d’ailleurs pas une bonne chose selon Guardian -mais leur connaissance intime de l’informatique n’est pas meilleure que celle de leurs aînés ; ils appellent à la rescousse dès que quelque chose ne fonctionne plus comme il faut. Quand l’ordinateur tombe en panne, le jeune appelle… Papa ! En France, la proportion importante de blogs créés sur sky blogs il y a quelques années par les très jeunes a pu fausser les statistiques quelque peu. La migration de masse de ces jeunes vers Facebook nous promet non pas plus de maîtrise informatique, mais moins de maîtrise informatique par ces jeunes (soit dit en passant, l’étude montrait que dans chaque groupe de jeunes un « expert » de l’informatique se mettait à la disposition des autres pour leur créer leur blogs, ne montrant pas ainsi que la majorité était plus douée pour l’informatique que les autres générations).
  5. Il est rare que les vrais blogueurs, et surtout les meilleurs, soient des adolescents et beaucoup d’entre eux ont entre 40 et 50 ans sinon plus. Je peux témoigner si besoin était…
  6. En conséquence ce qui précède, twitter est aussi fortement utilisé par ces mêmes personnes pour, principalement, publier, diffuser du contenu, partager avec leurs réseaux et aussi comme un substitut à la messagerie instantanée entre les membres de ces réseaux.
  7. En conséquence de cela également, twitter est en effet un outil pour les adultes et en cela, je veux bien croire Matthew Robson qui a raison sur ce point. Ceci étant, le fait que les adolescents ne l’utilisent pas ne le rend pas moins intéressant, au contraire.
  8. (Juste une hypothèse de ma part je le reconnais) le style de ce rapport semble avoir très peu à voir avec la contre-culture adolescente et beaucoup plus à voir avec le style de Morgan Stanley et d’une banque d’affaires en général.
  9. Ce rapport part de l’hypothèse que les entreprises devraient avoir peur des adolescents qui les rejoindront dans les prochaines années. Cependant :
    • le temps qu’ils les rejoignent, ils ne seront plus adolescents, certains d’entre eux auront même des enfants
    • d’ici là, la plupart d’entre eux auront appris les bonnes manières du monde de l’entreprise
    • dès lors que M. Robson sera sur le marché du travail, c’est-à-dire dans à peu près 10 ans, les entreprises aussi auront évolué à force de se confronter à la pression, des jeunes comme des vieux, qui réclament plus de liberté dans l’entreprise et qui ont également acquis leurs propres outils technologiques afin de passer outre les règles contraignantes édictées par l’informatique d’entreprise (un concept connu sous le nom de BYOC, qui tend à se développer, et même parfois à la demande des entreprises elles-mêmes qui peinent à gérer correctement l’informatique des utilisateurs et qui préfèrent s’en débarrasser en donnant de l’argent aux utilisateurs)
    • on peut également se poser la question de savoir si la peur n’est pas une projection des générations les plus âgées, qui craignent pour leurs emplois en voyant débarquer des masses de jeunes surdiplômés. Ceci pourrait également expliquer la faveur de ces théories sur la génération Y, non pas le reflet total d’une réalité, mais surtout la projection d’une peur, car il n’y a rien de tel pour faire l’information que la peur et la tendance à nourrir celle-ci.
    • Enfin, puis-je me permettre de demander qui est matthew robson ? Je n’ai pas réussi à trouver (au moment de l’écriture de cet article fin 2009) une trace de ce garçon, même dans Facebook dont je doute qu’il puisse être considéré comme de la technologie du XIXe siècle. Ainsi, et malgré mon commentaire introductif, il se pourrait bien que Matthew robson ait encore à travailler sur sa réputation en ligne, à moins que cela aussi soit un concept démodé.

de l’information et du bruit …

Qu’est-ce qui fait que l’information se démarque de la donnée et du cyber babillage ? L’information, est ce qui arrive à chaque fois que des sources sont vérifiées, revérifiées et lorsque des investigations ont lieu. Que cela soit fait par un blogueur, un journaliste, un chercheur, un professeur, voire même un étudiant n’a aucune espèce d’importance. L’information est également liée à l’identité des auteurs qui est dévoilée (même les rédacteurs de The Economist, bien que signalés aux lecteurs par des pseudonymes comme Charlemagne, le plus connu d’entre eux, peuvent être retrouvés sur l’annuaire média électronique du journal avec images et points de contact).

Ne vous y trompez pas, et ne rendez pas l’Internet responsable pour le fait que les adultes, et plus tard la génération Y, qui en fait ne sont que des adultes en devenir, ne sache plus faire la différence entre l’information et le bruit. Ce n’est pas Internet qui est responsable, mais les gens qui l’utilisent.

Yann Gourvennec
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