Faites-moi du nouveau … mais soyez responsables !
Design et innovation à l'épreuve de la responsabilité
La notion de nouveau irrigue le design et l’innovationL'innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l'environnement mais ces disciplines sont maintenant sommées de changer. Les designers eux-mêmes l’ont bien compris et ont intégré ce message dans leurs discours. C’est ce dont j’ai pu me rendre compte lors de la huitième édition de l’événement In Design We Trust qui s’est récemment tenue sous la présidence de Delphine Dauge de SGK Brandimage.
Faites-moi du nouveau ! Design et innovation à l’épreuve de la responsabilité
L’événement In Design We Trust a exploré le thème « Faites-moi du nouveau« , en abordant les défis et les opportunités de l’innovation dans le design. Une conférence, faite de 15 « talks » de réflexion sur le nouveau, le design et l’innovation. Ceux-ci m’ont grandement inspiré. Et cerise sur le gâteau, la présentation de deux jeunes étudiants en design a secoué l’auditoire tout en le faisant rire aux éclats. Après ce compte-rendu, vous ne pourrez plus dire que vous ne savez pas ce que c’est de « faire du nouveau » avec du vieux ou du jeune, peu importe.
Une année difficile pour le design et l’innovation
« L’année a été difficile pour les agences de design, notamment avec la fin des Prêts Garantis par l’État (PGE) », a expliqué la présidente de l’ADC. « La grande consommation a également rencontré des difficultés » a-t-elle ajouté, « mais des projets intéressants ont émergé et de nouvelles agences sont même apparues sur le marché ».
L’ADC, l’association dont le but est de promouvoir le design français, ses métiers et ses agences, a initié les « Talks » pendant la pandémie de COVID-19 afin de maintenir le lien entre ses membres. Plus de 30 réunions ont été organisées depuis, dont une récente animée par notre brillant confrère Matthieu Morgenztern, qui a présenté les solutions IA à intégrer sur les systèmes internes des agences de design. « L’intérêt pour cette technologie s’est manifesté par la présence d’une centaine de participants » a expliqué Delphine Dauge.
5 minutes pour expliquer ce que c’est que de « faire du nouveau »
Les « Talks »ce sont 5 minutes d’intervention par agence, sur un thème donné, dont beaucoup de saynètes amusantes, avec un thème, ‘Fais-moi du nouveau !’ La présidente de l’ADC justifie ainsi son choix : « C’est la phrase bateau que nous donnent les clients dans les briefs », a-t-telle dit. « Mais la vraie question est ‘est-ce que ça existe’ ?
Cette dernière question est d’importance pour les lecteurs de Visionary Marketing et tous les amateurs d’innovation, dont l’étymologie est justement basée sur ce concept qui consiste à « faire du neuf »
A. − Usuel, emploi intrans.
1. [Le suj. désigne, directement ou p. méton., une pers.] Introduire du neuf dans quelque chose qui a un caractère bien établi.
Dictionnaire en ligne, trésor de la langue française
Godzilla et Chirac
Plusieurs interventions clés ont marqué l’événement. Landor a illustré l’évolution du design à travers l’exemple de Godzilla, montrant comment le design répond aux changements sociétaux. Les histoires de ce monstre des années 50 sans cesse renouvelé, incluant systématiquement des éléments issus de l’actualité (y compris les essais nucléaires de Jacques Chirac dans les années 90).
Une injonction à faire du nouveau
L’agence Extrême quant à elle a critiqué l’injonction au nouveau pour le nouveau, plaidant pour un design axé sur le sens et le bien-être. En prenant l’exemple d’un pitch surréaliste et alimenté par l’IA, basé sur une pizza en spray, les présentateurs ont critiqué cette injonction de faire du nouveau.
« On a fait appel à l’IA qui a proposé des solutions insensées. La nouveauté dans le design n’est-elle pas de revenir au sens ? Qu’est-ce que je veux défendre ? Du nouveau pour du nouveau ? Non, il faut faire du nouveau pour faire du bien !».
Design et innovation : le nouveau est déjà-vu !
Il est fascinant de voir des agences de design qui incluent ces éléments sociétaux dans leurs réflexions. J’aimerais qu’ils aient été davantage à l’origine de définitions (ou suppression) des emballages et suremballages des produits que j’achète le samedi en faisant mes courses. J’aurais besoin de descendre mes poubelles moins souvent. Mesdames et messieurs les donneurs d’ordre à vous de jouer.
Les consommateurs sont blasés
Les présentateurs de Carré Basset ont ensuite remis en question la notion même de nouveauté, appelant à une créativité responsable et à impact positif. Fustigeant au passage ces fausses innovations comme celles qu’on observe dans la publicité, dont les auteurs aiment se copier (cf. le fameux site de Joe La Pompe)
Les consommateurs sont blasés, ils ont tout vu et c’est pour ça que nous sommes coupables de ce nouveau qui ne l’est pas et qui n’est qu’une réinvention du futile. Il faut apporter du sens et arrêter la surconsommation !
Innovation : tout est relatif… enfin presque
Team Créatif a ensuite exploré la perception du nouveau selon le niveau d’expertise, soulignant l’importance du storytelling dans l’innovation et a proposé une véritable réflexion sur la subjectivité par rapport à la nouveauté.
Nous n’avons pas tous le même regard. Ce qui est nouveau pour un béotien peut passer pour une copie pour un expert. Mais si ce n’est pas assez nouveau, ce n’est pas impressionnant, et si ça l’est de manière excessive, c’est trop disruptif.
Hum… voilà qui rappelle de souvenirs à quelques innovateurs et acteurs de changement.
Le lexique des mots du « branding »
L’agence 4uatre a présenté avec humour un lexique de nouveaux mots du branding, dont voici quelques exemples choisis.
- fourzytout quand le client veut tout mélanger, « le résultat est douteux et pas bon » ;
- Expectinction : quand le projet éteint tous les espoirs de nouveauté et que « le projet qui avait bien commencé finit mal » ;
- Hallusion : pour une hallucination du client « qui est le seul à voir dans la créa proposée un fétus dans le G du logo ».
L’agence Leroy Tremblot s’est ensuite lancée dans une parodie terminologique autour de Bergson et de nombreux autres philosophes. La portée de l’exposé m’a parfois un peu échappé mais j’ai compris que « la nouveauté est un concept fondamentalement humain ». C’est bien vu, les animaux, surtout les animaux domestiques, ont leurs habitudes auxquelles ils tiennent. Les humains, eux, ne se satisfont jamais du train train ni ne résistent au changement. C’est bien connu.
Garamond, une nouvelle typo depuis le 16e siècle
Production Type a ensuite exploré l’innovation en typographie, rappelant l’importance de l’héritage dans la création (avec Le Garamond qui se réinvente sans cesse dans la continuité depuis sa création par le typographe du même nom au seizième siècle), alors que Sixième Son a proposé une approche fort pertinente de la nouveauté par la réinterprétation du quotidien plutôt que par la recherche de radicalité. En montrant notamment que nombre de musiques célèbres sont basées sur ce que l’on appelle des anatoles.
L’agence Pixelis a quant-à-elle démystifié l’innovation en design, critiquant au passage les approches marketing superficielles. Innover vient de « nouveau », c’est le fond de notre métier, mais le problème tient dans le fait que c’est la seule chose que les gens comprennent de notre métier !
Et il est vrai que dans le design, il y a aussi une valeur d’usage, entre autres choses, qui est fondamentale. On peste assez contre les produits qui sont mal conçus.
Design et innovation : always the unexpected happens
FutureBrand a réfléchi sur l’innovation née de l’erreur et de l’inattendu. CBA a analysé de manière critique le concept de « newwashing » et a appelé les designers à rendre l’ordinaire extraordinaire.
Ensuite,les présentatrices des agences Seenk x Namibie ont décrit un cas pratique illustrant les défis de la création face aux attentes des clients.
Mettez un dragon dans votre moteur d’innovation
Pénultième présentation, Dragon Rouge a partagé ses règles maison pour stimuler la créativité et l’innovation dans le processus de design.
Je n’ai pas suivi de formation en design, j’ai donc créé mes propres règles. 1/ je suis à l’écoute de mes sentiments ;
2/ je pose la question du pourquoi ;
3/ toute réaction doit déclencher une contre réaction ;
4/ transformer la marque et se concerter sur les détails ;
5/ il faut prendre la gravité avec légèreté.
Ce discours, qui a pris Newton pour point de départ, s’est appuyé sur des visuels fort élégants et une interprétation également toute personnelle de l’écoulement du temps. Peu importe, ces cinq minutes qui n’en étaient pas furent riches d’enseignements. Une bien belle leçon d’innovation par Keireddine Sidhoum, un conteur d’exception.
Les apprentis designers font montre de beaucoup de maturité
Dernière présentation et non des moindres, celle de deux élèves de eartsup et Intuit-Lab. Avec beaucoup d’humour, ils ont reposé la question ainsi : « Faut-il être nouveau pour faire du nouveau ? ». Question éminemment pertinente de ces deux étudiants. Ceci à un moment où de nombreux professionnels se lamentent du jeunisme ambiant et de la discrimination sur l’âge.
Cette jeunesse m’a redonné l’espoir car leur réponse, pleine de facétie et de pertinence, a été d’enjoindre les moins jeunes à démontrer leurs capacités, qu’ils présument intactes, d’innovation et de créativité.
Faire du nouveau : que faut-il en conclure ?
J’ai été agréablement surpris par nombre de ces présentations qui ont opposé demande constante d’innovation et nécessité d’un design responsable. Comme l’a fait remarquer une des agences, il n’y a pas que le « nouveau » dans le design. Ni même la valeur d’usage. Le respect de l’environnement et de la société se sont fait une place dans cette profession. Du moins dans les discours.
Et l’IA générative dans tout ça ? Si les présentateurs ont recouru parfois à elle pour conforter leurs « pitches », ils s’en sont également moqué et de fort belle manière. Cela ne veut pas dire, comme vous le savez déjà depuis 1950, que les machines ne peuvent créer. Cela signifie plutôt que la question du « pourquoi le nouveau » est bien plus importante que sa facture.
Le rôle du designer au cœur du débat.
Face aux avancées technologiques et aux changements sociétaux, les intervenants ont souligné qu’il ne servait à rien de courir et qu’il valait mieux partir à point.
Et surtout, cette remise en cause de l’objectif du design pose clairement la question de la responsabilité des designers dans l’impact des produits et des services qu’ils créent. Au même titre, sinon plus, que celle des marketeurs.
Souhaitons que cet effort demandé aux designers ait plus d’échos que celui de ces quelques marketeurs et vendeurs qui tentent désespérément de changer les choses et se heurtent au poids des habitudes. Aussi bien de la part des clients que des fournisseurs et des employés.
Beaucoup d’équipes ont souligné, sous couvert d’humour, les difficultés à se faire entendre des clients et des annonceurs. Derrière le « Faites-moi du nouveau », il y a souvent en écho « Mais préservez le statu quo ». Pourtant, le besoin de faire vraiment du nouveau n’a jamais été aussi impérieux et pour cela, il faudra tout changer et non juste faire semblant en prononçant de belles paroles.