Transformation digitale

2021 : Une transformation digitale sans changements profonds des mentalités

La transformation digitale, c’est un peu une fable d’Esope revisitée à la sauce 21e siècle : « Le Digital et les Mentalités » ont remplacé « Le Lièvre et la Tortue ». Le billet sur le rapport Lecko annuel sur la transformation des organisations est un passage obligé de Visionary Marketing. L’an dernier, nous avions assisté à la dernière version de cette restitution d’étude en physique, dans ce qui est d’ailleurs resté notre dernier événement non virtuel. Plaise à Hermes que nous puissions bientôt nous retrouver autour d’une scène et d’un micro. En attendant, j’ai interviewé Arnaud Rayrole sur ce nouveau rapport, sorti à une période complexe des organisations, le temps de faire justement le bilan de cette année 0 du télétravail dans notre pays. Où l’on verra que malgré la pandémie, les choses n’ont pas tant évolué que cela. 

Avec la pandémie, la transformation digitale a pris un coup de boost, mais les mentalités restent

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Avec la pandémie, la transformation digitale a pris un coup de boost, mais les mentalités restent [le lièvre et la tortue d’Arthur Rackham, Domaine Public]
La saillie drolatique d’Emmanuel Macron sur les Gaulois réfractaires lui a valu une volée de bois vert. Il est vrai que la formule n’était pas flatteuse, mais elle n’en était pas moins juste. A force d’écrire tous les ans que le management n’évolue pas, mon stylo va finir par s’enrayer.

Cependant, la fatigue des Européens, et pas seulement des Français, vis à vis du télétravail obligatoire commence à se faire sentir durablement.

Transformation digitale ne vaut pas tranformation des mentalités

Pour en revenir à ce qui était dit ci-dessus, on pourrait au contraire reprocher à notre Président de ne pas avoir été assez critique afin de stimuler le changement dans un pays qui s’est figé tout seul dans son immobilisme et démontre tous les jours — et malgré ses nombreux talents individuels — son incapacité à rentrer collectivement dans le 21e siècle par le bon bout.

Nous avons ici même loué l’accélération de la transformation digitale en 2020, mais cette accélération est en fait en demi-teinte.

Sous l’impulsion de la pandémie, le retard technologique français est en train de se combler. Toutefois, ce que nous avons vécu sur le télétravail à marche forcée l’an dernier, je l’avais observé au Royaume Uni … au milieu des années 95, soit 25 ans plus tôt.

Avec une différence de taille : l’accueil fait à ce changement fut très positif de l’autre côté de la Manche.

Le changement ici s’est fait au contraire sous la contrainte, et les menaces de télétravail obligatoire sur une population plus que fatiguée des restrictions de libertés ne fera rien, à mon humble avis, pour en développer positivement l’adoption.

Déjà  on voyait les employés retourner en masse au bureau, et les 4 jours de travail au bureau autorisés depuis hier soir ne changeront probablement rien à cela.

D’ailleurs, je me demande même si cette injonction paradoxale du télétravail obligatoire n’aura pas l’effet inverse de celui recherché, comme le montrent déjà des études européennes. Pour le coup, en fait de transformation des mentalités sous le coup de l’accélération du digital, on risque au contraire d’assister en Europe — et pas seulement en France — à un retour en arrière.

L’overdose est consommée.

En attendant de voir ce qui arrive réellement, retour  sur ce rapport Lecko de 2021 avec Arnaud Rayrole que j’ai interviewé à distance, comme il se doit.

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Entre transformation digitale et mentalités figées, le rapport Lecko de 2021

Cette année, nous sommes intéressés tout particulièrement à l’impact de la crise sanitaire sur l’évolution des pratiques de travail et de management chez nos clients.

Impact de la crise sanitaire sur l’évolution des pratiques de travail et de management

Nous nous sommes appuyés à la fois sur des statistiques (« analytics ») installées sur des environnements de travail de grands comptes, et sur un sondage réalisé avec l’institut YouGov, pour avoir un panel représentatif. Notre rapport porte sur un échantillon de 1000 personnes, représentatif des entreprises de plus de 500 personnes.

Nous avons tout simplement voulu savoir :

  1. si la transformation digitale des organisations s’était accélérée
  2. en quoi elle a pu être accélérée
  3. en quoi les choses n’ont pas vraiment changé
  4. quel est le nouveau contexte dans les entreprises
  5. comment elles gèrent ce travail en mode hybride qui va très probablement perdurer ces prochains mois et au-delà

En résumé, la modernisation des organisations s’est accélérée …

La modernisation signifie l’équipement en solutions numériques et la transposition des pratiques existantes ou des processus existants en mode dématérialisé et en digital.

… mais la transformation culturelle, la transformation des pratiques, pas tant que ça.

Nous sommes davantage sur une sorte de déformation élastique, qui fait que dès qu’on enlève la pression on revient à la situation initiale, que sur une déformation plastique durable.

Le mail reste l’outil principal de collaboration des entreprises après cette crise sanitaire, comme il l’était déjà avant

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Rien à faire, le mail est en pleine expansion. Plus ça change … disait le poète [source rapport Lecko 2021]
Du point de vue des outils l’évolution porte surtout sur la démocratisation et la généralisation de l’usage de la visio, mais l’email reste l’outil de communication et de collaboration principal, avec également l’usage d’outils comme WhatsApp, Facebook, qui ne sont pas fournis par l’entreprise, mais qui restent des outils de communication et de coordination pour les équipes terrain.

Mentalités et transformation digitale : parlons collaboration et envoyons des emails !

Finalement, la digital workplace, les espaces d’échanges au sens large, dans lesquels je mets les messageries d’équipe comme Slack, Teams ou les réseaux sociaux d’entreprise, arrivent en quatrième position dans les outils de collaboration du quotidien cités par ce panel.

Teams est un produit qui a plusieurs aspects : Teams en tant qu’outil de visioconférence est en très forte croissance, mais Teams en tant que messagerie d’équipe, dans lequel on va converser en discutant ouvertement au sein de l’équipe, dans lequel on va pouvoir coordonner ses activités avec des kanban, discuter autour des documents ou discuter autour du processus, a très peu évolué, et n’a pas accéléré autant qu’on peut l’imaginer.

Tranformation digitale et des mentalités : 2020 a été une énorme expérimentation

Actuellement, la situation des entreprises ressemble davantage à des entreprises qui n’ont pas de bureau, qu’au télétravail.

Cela a été imposé aux entreprises et elles ont constaté que ça a fonctionné.

Mais elles ont aussi vu toutes les limites qu’elles connaissaient déjà.

Le fait de pas assez faire confiance à ses collaborateurs pour ne pas les rendre autonomes, et en capacité de s’adapter plus rapidement à un contexte que personne ne peut anticiper, est un problème existant avant et qui s’est amplifié.

Les trop nombreuses réunions pas forcément utiles, pas efficaces, et qui viennent cannibaliser tout le temps des collaborateurs, étaient un problème préexistant qui s’est presque amplifié.

Le fait que tout passe dans l’email et qu’on émiette l’information dans 36 espaces également.

Tous ces problèmes préexistaient et sont devenus encore plus difficiles à supporter par les équipes.

Les choses avancent et questionnent la façon de travailler au sein des équipes

Des changements sont en cours. Du point de vue des entreprises et des organisations syndicales, il y a eu un accord sur le télétravail qui a permis de remettre tout le monde d’équerre sur ce sujet. Les partenaires sociaux ne s’étaient pas rencontrés sur ce sujet depuis 2005.

Aujourd’hui de plus en plus d’entreprises commencent à intégrer ce mode de fonctionnement. Récemment la Société Générale, auparavant Peugeot. Les grandes entreprises vont beaucoup dans ce sens, avec à la fois une demande de certains collaborateurs à plus de souplesse, et une demande aussi des entreprises.

L’interêt va être économique avec la réduction des coûts de bureau, mais également de pouvoir offrir d’autres cadres de vie aux collaborateurs, ne pas les contraindre à habiter à proximité des sièges sociaux, par exemple, et pouvoir finalement travailler plus facilement avec des gens qui sont localisés ailleurs.

Un avantage à ceux qui avaient engagé cette transformation depuis plusieurs années

Il n’y a pas de grande révolution avec cette crise sanitaire, mais la chose la plus marquante est que les entreprises constatent que la visio marche vraiment, alors que ça va faire 10 ans que ça fonctionne correctement.

Nous avons vu chez nos clients grands comptes une vraie différence entre ceux qui avaient pris le sujet et la transformation depuis quelques années, et ceux qui étaient en retard.

Les entreprises qui avaient pris de l’avance s’en sont mieux sortis

Les premiers étaient déjà équipés, avaient déjà mis en place un dispositif d’accompagnement, avaient fait de l’innovation managériale localement, et étaient ainsi assez éclairés sur vers quoi ils devaient aller et avaient du mal à généraliser. Ceux-là s’en sont très bien sortis, en ont profité quelque part de la situation de confinement pour embarquer plus de monde.

Les seconds, qui étaient en retard du point de vue des équipements, dont concrètement, les collaborateurs n’avaient même pas d’ordinateur portable, sont partis avec des tours, pas d’accès à leur système d’information, car emmurées avec des accès VPN insuffisants. N’ayant pas basculé dans le cloud les activités non confidentielles, non stratégiques,  ils ont dû évoluer très vite, et les collaborateurs se sont retrouvés beaucoup plus désarçonnés par ce changement d’environnement de travail.

Globalement, la transformation avance, mais elle est beaucoup plus lente que le déploiement technologique

Au fur et à mesure des années, les outils se sont améliorés et sont de plus en plus sophistiqués.

Les organisations sont de plus en plus apprenantes. Les managers sont plus audacieux pour être les leaders de ces changements. Il y a un vrai progrès.

On a vu l’engagement sur ces réseaux sociaux d’entreprises augmenter.

On a constaté par exemple, que les réseaux sociaux d’entreprise dont on ne parlait quasiment plus ont été extrêmement utilisés. On l’a vu avec nos analytics durant le premier confinement, et même après.

On avait la visio pour communiquer avec ses proches, mais on avait le réseau social pour rester en contact avec l’ensemble de l’organisation, avec ses comités de pratiques de pairs, pour faire circuler l’information ou tout simplement se questionner sur comment appliquer les mesures sanitaires.

Ensuite, l’entreprise ne maitrise pas tout. Elle a beau déployer la technologie, ce n’est pas pour autant qu’elle va être utilisée, et on a toujours la présence d’usages non gérés par l’entreprise.

Facebook a créé Workplace, son outil de réseau social pour les entreprises, mais  aurait dû le faire avec WhatsApp. WhatsApp est très utilisé par les entreprises, que ce soit par les opérateurs de terrain ou par les cadres dirigeants.

Emergence du management visuel

Un sujet qu’on a vu émerger cette année et qu’on a traité avec attention, c’est le management visuel, l’agilité.

Après la mise en réseau d’organisation, l’agilité pour s’adapter est le sujet de 2020.

Comment les organisations ont pu s’adapter à un contexte qui n’était pas prévu et comment elles ont pu supprimer tout un tas de processus lourds pour répondre à l’urgence ?

Comment se sont-elles étonnés elles-mêmes de faire avancer leurs projets plus rapidement pendant cette période que d’habitude ?

Cette période a montré les vertus d’être dans le faire, de rendre visibles les actions, d’autonomiser des équipes plutôt que d’être dans l’étude, la validation, dans la description de ce qu’il faut faire.

Ce mode de fonctionnement a bien montré ses limites dans une période comme celle qu’on a vécue.

Et le management visuel qui a fait ses preuves dans l’industrie est en train aussi d’être porté maintenant dans l’univers des travers de l’information.

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Quelques statistiques issues du rapport Lecko 2021 – indécrotables, les utilisateurs préfèrent le mail, pourtant responsable de nombre de malentendus et de dysfonctionnements.

Des solutions comme Klaxoon, Trello, Country, iObeya, permettent de trouver d’autres manières d’interagir autour des flux d’activités. Ceci a vraiment émergé en 2020 chez nos clients. Et l’offre du marché aussi progresse beaucoup.

La prise de conscience des impacts environnementaux du numérique

Le dernier sujet émergeant, qui dépasse l’entreprise, c’est l’environnement. Il y a une prise de conscience sociétale des impacts environnementaux. On se rend compte que le numérique permet d’économiser des déplacements, de la production de papier, etc., mais aussi qu’il y a un énorme effet rebond.

Certes, on a une meilleure empreinte environnementale lorsqu’on fait une visio plutôt que lorsqu’on se réunit physiquement, et qu’on prend sa voiture, mais on en fait beaucoup plus. Au final, on consomme plus, et on va à l’encontre de l’effet recherché. On augmente notre impact environnemental.

Aujourd’hui, le numérique en France c’est environ 2% de nos émissions carbone. Au rythme où va, çà atteindra 6% en 2040 nous dit l’Ademe

Cela signifie que ça va dépasser ce que représente le transport aérien en termes d’émissions de carbone.

En janvier, le Sénat a voté une proposition de loi qui va passer à l’Assemblée nationale pour traiter le sujet de l’impact environnemental du numérique.

On constate cette prise de conscience aussi dans les entreprises. Et coup de chance, avoir une meilleure empreinte environnementale dans ses pratiques de travail, c’est aussi travailler plus efficacement.

Par exemple, plutôt que d’envoyer une pièce jointe à cinq personnes pour travailler sur un document, déposer ces documents dans son espace de travail, co-éditer, discuter dans le document plutôt que par mail, a un impact carbone dix fois meilleur. On travaille plus efficacement tout en limitant sa pollution numérique.

Ce sujet, depuis septembre, s’accélère. Les « analytics » qu’on utilise permettent vraiment de le mesurer : à la fois de renforcer la nécessité de changer, puis d’aider les équipes à se prendre en main et à suivre leurs métriques dans ce domaine. Et à mesurer les bénéfices en équivalent carbone économisées lorsqu’elles nettoient leur boîte mail, ou lorsqu’elles suppriment des documents zombies dans les drive, ou lorsqu’elles utilisent un peu plus la messagerie d’équipe plutôt que les pièces jointes dans le mail.

Beaucoup de pistes de travail sont sorties de cette année 2020, qu’il va falloir certainement tenir dans la durée puisque 2021 s’annonce également être un défi.

Pour télécharger l’édition 2021 de l’Etat de l’art de la transformation interne des organisations, c’est ici

 

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »

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