L’anthropologie numérique décrypte les tribus de consommation
Une approche concrète et pratique, basée sur les données
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L’anthropologie digitale permet de mieux identifier et comprendre les tribus de consommateurs. Au fond, que les approches sociologiques ou anthropologiques servent au marketing n’est pas étonnant ni même nouveau. Mais la conjonction d’un monde post-moderne qui a beaucoup changé sociologiquement, des médias sociaux qui se sont répandus absolument partout dans la société et sur toute la planète et de l’analyse de la donnée massive avec l’IA change la donne. C’est ce que nous décrit ici Benjamin Perregaux, représentant helvétique d’une société, Antropomedia, qui s’est spécialisée dans la cartographie des tribus de consommateurs. Antropomedia est le fruit d’une collaboration entre les chercheurs à l’Université de Monterrey au Mexique, et de marketeurs. La société d’anthropologie digitale s’est rapidement développée à l’international. Nous profitons de cette interview pour annoncer que le 6 mars 2025, à Paris, aura lieu un événement important, intitulé Luxommunity. Celui-ci permettra aux marketeurs des secteurs du luxe et de la mode de travailler concrètement sur la compréhension de leurs tribus de consommateurs afin d’accélérer leurs ventes et de donner un coup de jeune à leurs plans marketing. Visionary Marketing est partenaire média de cet événement.
L’anthropologie digitale pour déchiffrer les tribus de consommateurs

Pourquoi est-il judicieux de parler d’anthropologie appliquée au marketing ?
Benjamin Perregaux. L’anthropologie économique est une discipline déjà ancienne, l’anthropologie sociale. Dans notre cas, nous parlons d’anthropologie appliquée à la compréhension du consommateur.
Pourquoi utiliser le terme de tribu, et que veut-il dire ?
BP. Ce concept de tribu est issu des sciences sociales. La société moderne est, au fil du temps, devenue post-moderne. Les individus ont tous plusieurs masques, ils jouent plusieurs rôles. C’est pour cela que nous parlons, dans notre cas, de tribus post-modernes. C’est en nous basant sur ce concept que nous réalisons des segmentations des identités sociales.
S’agit-il de tribus prédéterminées ou sont-elles propres à chaque étude ?
BP. Chaque étude est l’occasion de découvrir un nouveau champ comportemental. Cela signifie qu’à chaque lancement d’un diagnostic ou d’une radiographie sur le compte Facebook ou Instagram d’une marque, on découvrira que les abonnés de cette marque sont organisés en tribus.
Ensuite, la technologie va nous permettre de rendre visibles ces tribus. Puis nous nous lançons dans l’analyse culturelle de ces groupes. Depuis le début 2012, nous avons analysé cumulativement 600 tribus. Mais il y en a encore beaucoup plus.
Si on a une compréhension profonde d’un groupe, on peut ensuite l’utiliser pour plusieurs types de produits ou de solutions, de services, si ça correspond à ce groupe, évidemment.
Ces tribus post-modernes sont-elles différentes de celles décrites par Michel Maffesoli dans le temps des tribus il y a plus de 30 ans ?
BP. Le monde a bien changé en 30 ans et la société est devenue beaucoup plus liquide. La complexité sociale s’est accrue même si le concept de base décrit par Maffesoli, et repris par Badot et Cova, est toujours valable. Les communautés de valeurs, de besoins, de désirs partagés existent toujours. Nous étions humains avant l’ère digitale, et nous le sommes toujours, fort heureusement.
Derrière les valeurs, les besoins, il y a une segmentationStricto sensu, segmenter signifie diviser son marché en sous-ensembles (segments) qui constituent des groupes homogènes et distincts. Et cette segmentation permet d’atteindre des consommateurs de manière plus noble.
Le monde de Bernard Cathelat et des sociostyles en 1970 était-il moderne ou post-moderne ?
BP. Il était moderne, indubitablement. Le bénéfice des sociostyles était de mettre le doigt sur les identités multiples.
Mais dans les années 80, dans le même restaurant, on pouvait trouver une table avec des punks, une autre avec des touristes italiens, une autre avec des clients plus traditionnels, mais tous ces gens-là étaient au même endroit. Aujourd’hui, on les retrouvera dans trois restaurants différents. La structure de la société s’est complexifiée.
Pour en revenir à la question précédente, nous nous sommes inspirés de Maffesoli et du concept de communauté imaginaire, mais nous sommes aussi allés puiser à la source de chez M. Dominique Desjeux, un anthropologue bien connu en France. Desjeux a évoqué l’échelle microsociale des réseaux. Ces identités sociales ce sont des liens qui se tissent autour des individus, qu’eux-mêmes se tissent tout seuls.
Ces identités sociales sont une sorte de big data culturel.
Par rapport aux sociostyles qui construisent des catégories théoriques et qui ensuite cherchent à faire correspondre la réalité à la théorie, nous allons simplement nous appuyer sur le réel et lui appliquer une loupe, puis l’analyser. Nous nous sommes inspirés de la dernière mise à jour de ces sociostyles pour les noms de ces groupes par exemple. Les deux méthodes sont complémentaires. Mais dans notre cas, nous nous sommes focalisés sur l’évolution des valeurs des consommateurs.
Ces tribus électives sont-elles comparables aux fameux personas marketing ?
BP. Si l’intention est la même, comprendre les consommateurs, ces deux démarches sont différentes.
Les personas correspondent à une vision stéréotypée des marchés.
Avec les personas, vous prenez le fichier client, vous le classez en catégories, puis vous essayez de comprendre la situation. Ils sont basés sur des données figées et peu représentatives des comportements (votre adresse, vos ressources financières, etc.). Ces personas manquent de contexte.
Et le contexte on les trouve dans les cartographies d’Antropomedia, dans ces tribus post-modernes, ce qui les rend beaucoup plus réalistes. Cela permet de construire des personas avec des données objectives. C’est très important.
Les médias sociaux sont-ils représentatifs des comportements dans le réel ?
BP. La frontière entre offline et online, même si on aime bien la faire, n’est pas conforme à la réalité du terrain.
Que vous soyez sur les réseaux sociaux ou au café du commerce, si une personne partage ses avis, vous serez touchés de la même manière. Il n’existe pas de partition entre le réel et le online.
La représentativité n’est pas un problème. Mais le 100 % digitalDéfinition marketing digital, un terme utilisé en permanence et pourtant bien mal compris car mal défini ne suffit pas. Dès lors, chez Antropomedia, nous complétons nos études par des interviews. Notons que le digital nous permet de réaliser de bien meilleures interviews. Grâce à eux, on peut mieux déterminer les échantillons à l’intérieur des tribus.
La profondeur des médias sociaux peut être remise en cause, mais pas leur représentativité.
Comment élimine-t-on les faux comptes sur les médias sociaux pour éviter les biais ?
BP. Nos cartographies sont basées sur les interactions, les liens entre des gens, les réactions qu’ils ont autour des contenus. Les faux comptes ne sont pas dans l’interaction. Sur une année, que va nous montrer la somme de ces données d’interaction ?
Notre expérience depuis 2012 nous montre que ces faux comptes se repèrent par l’absence de liens. Nos mesures et notre pratique nous permettent d’isoler ces faux comptes.
Peux-tu nous donner quelques cas concrets d’anthropologie digitale qui expliquent votre démarche et leurs résultats ?

BP. Notre démarche consiste à créer de la valeur pour l’entreprise en identifiant précisément ses publics cibles. Cela permet d’éviter le “mass testing” et les longs délais de commercialisation dus aux tâtonnements des algorithmes. Pour illustrer cette approche, prenons l’exemple de l’école d’ingénieurs HE-Arc à Neuchâtel.
Cette institution, qui propose des formations en ingénierie et dans d’autres domaines, a subi une baisse des inscriptions post-Covid. Pour redresser la situation, nous avons analysé les comptes Instagram et Facebook des écoles d’ingénieurs suisses, dont HE-Arc. L’objectif était de comprendre les motivations profondes des étudiants au-delà des hypothèses intuitives, afin de développer des actions dépassant la simple communication institutionnelle traditionnelle.
Notre analyse a mis en exergue plusieurs tribus distinctes, dont les « Future Makers », un groupe désireux de construire un monde plus durable où l’ingénierie joue un rôle positif d’optimisation. D’autres groupes ont émergé : certains étudiants aspirent à une carrière internationale, d’autres considèrent l’école comme un club social, et d’autres encore y voient simplement un tremplin professionnel. Ces trois exemples ne représentent qu’une partie des sept tribus que nous avons identifiées.
Cette compréhension approfondie permet de développer des produits, services, communications et expériences adaptés. Notre segmentation se base exclusivement sur les données publiques – ce que les gens choisissent délibérément de montrer aux autres. Pour l’anthropologue, ces choix sont cruciaux, car ils révèlent ce que les individus considèrent comme important dans leur identité sociale, leur recherche de validation et de confort psychologique.
Peux-tu citer un autre cas concret, dans l’horlogerie par exemple ?
BP. Prenons le cas d’un horloger suisse qui voyait ses ventes baisser. L’analyse de son compte Instagram a montré que sa tribu cible – celle qui achète vraiment – ne représentait que 15 % de ses abonnés. Dans le luxe et l’horlogerie, beaucoup d’abonnés suivent et s’informent, mais n’achètent pas. Les vrais clients potentiels se trouvent souvent ailleurs, car ils ont d’autres centres d’intérêt et d’autres valeurs. Cette découverte nous a permis d’identifier de nouveaux marchés plus prometteurs pour la marque.
Luxommunity (6 mars 2025), l’événement d’anthropologie digitale incontournable pour les pros du luxe et de la mode

Pour finir cette interview, annonçons un événement organisé par Antropomedia et Dimmup et dont Visionary Marketing est partenaire média. Cet événement, qui se déroulera sous forme d’ateliers pratiques le 6 mars 2025 à l’Étoile à Paris, s’adresse aux professionnels du luxe et de la mode.
Les entreprises du luxe, comme l’a démontré Antropomedia avec les clients de ce secteur en Suisse, éprouvent le besoin impérieux de mieux décrypter leurs tribus, de parfaire leur vision de leurs marchés. Cette suite d’ateliers pratiques leur permettra d’acquérir la méthode, les outils et le savoir-faire pour vendre mieux et de relancer leurs initiatives marketing.
Grâce à l’anthropolohie digitale, les participants de Luxommunity quitteront ces ateliers avec tous les éléments leur permettant de bâtir des plans marketing solides, ainsi que d’évaluer leur maturité digitale.
Pour en savoir polus sur la plateforme d’Antropomedia