Scientisme contre humanisme, jusqu’où l’innovation peut-elle aller ?
InnovationL'innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l'environnement, scientisme, humanisme … Où sont les frontières. Le progrès est-il impossible à arrêter, comme le veut l’adage ou au contraire, devrions-nous lui imposer des barrières. Que nous réserve le futur ? « 2012 – 2030, ligne de mire », tel était le thème du remarquable cycle de conférences du Tedx Paris de 2012, organisé de main de maître par Michel Lévy Provençal, avec 17 intervenants de très haut niveau. « Ligne de mire » étant un titre particulièrement bien choisi, sous forme de métaphore guerrière, il préfigurait une bataille entre scientisme et humanisme, remarquablement résumée à la fin de la présentation par le blogueur/comédien Vinvin. En sera-t-il de même en dehors de la scène de l’Olympia, sur le terrain qui nous mène à 2030, et dont nous sommes séparés d’à peine 18 ans ? ! C’est peut-être oublier « ô combien compliquée et imprévisible est la mécanique de la vie ». Kurt Vonnegut, s’il n’était décédé, aurait dû être invité lui aussi. [note: invité en tant que représentant d’Orange et partenaire de Tedx, ce compte-rendu est néanmoins un rapport personnel et non officiel – la version originale de ce billet a été écrit pour live.orange.com]
Scientisme contre humanisme, jusqu’où l’innovation peut-elle aller ?
« Tout doit avoir un but ? » demanda Dieu.
« Certainement », répondit l’homme.
« Alors je te laisse le soin d’en trouver un pour tout cela », dit Dieu.
Et il s’en alla. »
― Kurt Vonnegut, Cat’s Cradle / (Le berceau du chat)
Imaginer le futur n’est pas chose facile (voir à droite : sortie à l’Opéra en l’an 2000 de Robida). Beaucoup s’y sont essayés, peu ont réussi. Mais il y a des exemples marquants d’hommes et de femmes qui ont imaginé des choses impossibles et que les humains ont réussi à réaliser quand même : Jules Verne et son Nautilus a préfiguré les sous-marins, Hergé a inventé l’exploration lunaire alors qu’elle était impossible et semble avoir été copié par la NASA un peu plus de 10 ans plus tard…
le caractère auto prophétique de l’innovation
Ce sont ces rêves devenus réalités qu’a décrit Thomas Pesquet, astronaute à l’ESA qui nous prédit un voyage habité sur Mars dès 2035. Je n’en serai pas. Ouf ! 3 ans de voyage en conserve, ce n’est pas pour moi. En substance, il nous a expliqué qu’on ne savait pas comment faire pour y arriver aujourd’hui, mais qu’on finirait bien par trouver des solutions.
C’est aussi ce qu’ont annoncé Ariel Fuchs, autoproclamé « mérien » (et non terrien), qui lance avec l’architecte français Jacques Rougerie, l’océanographe Jacques Piccard et le spationaute Jean-Loup Chrétien un projet nommé Sea Orbiter, un vaisseau vertical de 50 m, dont 29 au-dessous de l’eau, qui va « dériver sur l’océan » afin d’implanter une station de recherche sous-marine ; celle-ci permettra de « découvrir de nouvelles espèces et de faire des avancées technologiques dans les domaines de la pharmacologie, de la santé, de l’alimentation, des ressources minérales » etc. etc. C’est 20,000 lieues sous les mers devenues réalité.
Ce caractère itératif et auto prophétique de la recherche et de l’innovation a été confirmé par un remarquable présentateur franco-japonais résidant aux Pays Bas : César Harada. Mu par le désir de nettoyer les océans, il conçoit avec ses équipes des bateaux révolutionnaires dont les améliorations techniques pourraient aller bien au-delà de son projet initial. Ces bateaux « mous » qui résistent aux vents les plus défavorables évitent les obstacles plus tardifs pourraient vous donner aussi le mal de mer…
le côté obscur de la force : vivre jusque 1000 ans ! ?
Cependant, ce côté auto prophétique peut parfois laisser la place à une autre vision du monde, bien différente de ces présentations d’ingénieurs enthousiastes. C’est quand cette vision d’un futur change le vivant, et vise « l’immortalité ». C’est le sentiment que j’ai eu en écoutant bon nombre de scientifiques présents lors de ce Tedx Paris et notamment Fabrice Chrétien, chercheur à l’institut Pasteur, spécialiste de la cellule souche, et Laurent Alexandre, chirurgien. Certes, comme tout le monde, je souhaite que la santé de tous s’améliore, notamment celle des gens frappés de maladies aujourd’hui incurables. Mais où est la limite ? Certes, le cancer est une calamité, personne n’est à l’abri, moi comme vous, mais où s’arrête la vie et comment la mort pourrait-elle disparaître ?
Les deux scientifiques se sont livrés à une surenchère scientiste qui nous a décrit un monde où il n’y a plus de limites : « ma conviction personnelle est que certains d’entre vous (en s’adressant à la salle) vivront jusque 1000 ans ! » A dit Laurent Alexandre. J’ai senti comme un frisson d’épouvante traverser la salle … Et pourquoi pas 2000 ans ?
Sans oublier les délires d’hommes bioniques décrits par Fabrice Chrétien, où les cellules s’auto réparent et où on fabrique des « morceaux d’hommes ». Effrayant, même si je ne comprends pas tout. Qui en outre, aura droit à ces « traitements de faveur » ? Les riches, les dictateurs ?
Cette description d’un monde où la science, technicisée à l’extrême devient un moyen de repousser toute limite, me fait froid dans le dos. « C’est le mythe de la tour de Babel » a fustigé Miguel Benasayag, philosophe argentin, ex opposant au régime des militaires et « Guévariste ». Sans partager ses idées révolutionnaires, ni son admiration pour cette idole, il nous a remis les pieds sur terre, en nous rappelant que c’était la limite qui créait la liberté : « Si tout est possible, rien n’est réel » a-t-il ajouté !
C’est pour moi la leçon de cet après-midi passé à rêver l’avenir : rêves d’amour, avec Yann Dall’aglio, qui place la tendresse comme futur de l’homme et du couple ; rêves de fermes urbaines d’Augustin Rosenthiel, improbables mais ô combien poétiques ; rêves de justice et d’humanité de Céline Bardet (« nous avons tous une graine d’humanité » en parlant d’un bourreau de la guerre de Bosnie) ; rêves d’amour, de courage et de pédagogie de Lydie Laurent, mère d’un enfant autiste qui a réussi à le faire parler et à le scolariser malgré un lourd handicap (séquence émouvante lorsque l’enfant est monté sur la scène) ; et enfin rêves d’optimismes d’Anjuli Pandit, cette jeune indienne à la conquête du monde qui nous incite à en faire autant.
Icare se brûlant les ailes …
Plus que jamais, l’avenir se jouera entre ces deux tendances, humaniste et scientiste, où l’homme sera soit soumis à une technique toute-puissante, où les médecins « ne toucheront même plus leurs patients » soit entre les mains d’humains capables de guérir et assistés par des techniques sans cesse plus poussées mais soumises à son contrôle.
Vous avez compris dans quel camp je me range, Icare en volant trop près du soleil a vu fondre ses ailes de cire ! Merci à TedX de nous avoir rappelé cette leçon issue de l’Antiquité.
[image : la chute d’Icare par Peter Bruegel l’ancien (détail)]
Ça serait quand même embêtant de pouvoir vivre jusqu’à 1000 ans et de ne pouvoir faire des enfants que durant les 40/50 premières années 🙂
Par contre ça rejoint l’idée de Stephen Hawking qui dit que pour « réduire » la durée des voyages dans l’espace il faut « allonger » l’espérance de vie des humains.
3 ans aller + 3 ans retour, ça fait presque 8% de l’espérance la vie actuelle. Si l’espérance de vie passe à 1000 ans cela devient presque négligeable 0,8%.
Il y a une autre solution : au lieu d’aller faire le pingouin sur mars, il suffit d’aller passer ses vacances dans l’Ariège, les sensations sont a peu près les mêmes. On est tout seul, il y a des montagnes, l’air est pur et en plus il y a du fromage ( comme sur la lune dirait grommit car « the moon is made of green cheese »)