Le manifeste des 36 évidences du marketing de l’ADETEM
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J’ai interviewé François Laurent il y a peu afin d’évoquer le manifeste des « 36 évidences pour demain », du Conseil Scientifique de l’Adetem, qui « pose le cadre d’un marketing nouveau pour un monde qui se reconstruit ».
Le manifeste des 36 évidences du marketing de l’Adetem
Un travail utile à un moment où nombre de marketeurs remettent en cause, de l’intérieur (ici et ici par exemple), les fondements de notre discipline. Un manifeste important pour replacer le marketing à sa juste place dans un monde qui change et qui se relève, à peine, d’un grand choc.
Pour résumer en une phrase ce manifeste du marketing de l’Adetem, dont l’inspiration vient du Cluetrain Manifesto de Doc Searls et consorts, on peut dire avec François que le marketing a bien pour « rôle de faire du profit, mais de le faire de manière responsable ». Un vaste programme qui pourrait sauver le marketing, on l’espère, car il est menacé selon les dires de l’ex-Président de l’Adetem. Voici son interview.
Le marketing permet aux entreprises de vendre des produits ou des services adaptés aux attentes des consommateurs
Le marketing est la voix du consommateur dans l’entreprise. Les entreprises sont de plus sensibilisées à la nécessité de parler correctement aux consommateurs.
Il y a quelques années, les « boards » des grandes sociétés américaines avaient d’ailleurs une chaise vide, qui représentait la chaise du consommateur.
Le marketing à la Steve Jobs, qui prônait que « parce que ça me plaît, ça va plaire à tout le monde », est un contre-exemple, car procéder de la sorte mène souvent à l’échec
Il ne faut pas pour autant faire que ce que veulent les consommateurs, parce que les consommateurs non plus n’ont pas forcément l’idée de ce qu’ils veulent.
Ford disait que s’il avait demandé aux consommateurs ce qu’il devait faire pour les transports, ils auraient répondu de faire des diligences plus rapides.
Au début des années 90, lorsqu’on demandait aux gens ce qu’ils pensaient d’un téléphone pour téléphoner dans la rue, ils trouvaient ça complètement stupide.
Si chacun reste sur son territoire, les inventeurs d’un côté et les consommateurs de l’autre, ça ne fonctionne pas. Il faut qu’il y ait collaboration et compréhension, et le marketing est le facilitateur entre l’entreprise et les consommateurs
Deux grandes révolutions ont marqué la société du 21e siècle : Internet et la crise liée au Covid
La première révolution a été l’arrivée du web chez les consommateurs.

Alors que les gens continuaient à faire du marketing comme avant, quatre chercheurs américains ont alerté sur le fait que les gens discutaient désormais entre eux sur ce qui était à l’époque le premier blog et les premiers forums, et ont sorti 95 évidences dans le Cluetrain Manifesto. Ce fut la première pierre.
Le deuxième grand chamboulement est la crise que nous venons de passer qui a beaucoup secoué les gens.
Se retrouver soudain interdits de sortir de chez soi a remis une certaine forme de pensée parmi les Français.
Il s’agissait pour ce Manifeste des 36 évidences pour demain de souligner que le monde ne sera plus le même, qu’il ne faut pas essayer de continuer à faire comme avant.
Le changement viendra des nouvelles générations de marketeurs
Le changement ne viendra pas nécessairement des marketeurs confirmés, mais des nouvelles générations de marketeurs, qui n’ont pas les mêmes œillères que nous nous sommes mises pendant des années.
Les jeunes générations se sont aperçues que grâce aux gens de notre génération, on consomme aujourd’hui 1,7 planète par an, et quand ils auront notre âge, au rythme actuel, on en consommera plusieurs.
La consommation des Suisses correspond à 4 planètes par an, les Japonais font encore mieux. Les jeunes sont pris à la gorge, ils ont besoin de changer des choses. Et le marketing a aussi un rôle sociétal, notamment vis-à-vis de la planète et des citoyens.

La finalité du marketing ne va pas du tout changer, mais puisqu’il est le facilitateur entre les consommateurs et l’entreprise, il peut être celui qui aide à comprendre les consommateurs et à faire que les produits leur correspondent.
Le consommateur, le citoyen, les individus ont complètement changé et on peut être à l’écoute des nouvelles attentes.
Le Black Friday est un bon exemple. Il est totalement irrespectueux des consommateurs, qui se sont aperçus qu’il n’y a pas de réductions, puisque les prix sont gonflés avant pour pouvoir faire des réductions pour cette journée.
Les consommateurs commencent à le comprendre.
Certains étaient en avance de phase, comme la Camif qui a fermé son site dès 2017 ce jour-là et depuis ne participe pas à cette mascarade.
Le marketing qui avance est celui qui, plutôt que faire comme tous les autres, dit halte, je respecte les consommateurs parce que les consommateurs ont envie qu’on les respecte
L’engouement du Black Friday diminue, et il est devenu artificiel puisqu’en définitive, on ne fait que de déplacer dans le temps, à une période de l’année, des ventes qui pourraient être lissées tout au long de l’année, souligne François.
Le rôle du marketing est de faire des produits plus responsables
Il y a aujourd’hui deux grandes écoles : les gens qui pensent qu’il faut consommer, qu’on a besoin de croissance et de toujours plus de profits, et ceux qui pensent qu’il faut arrêter, aller sur la décroissance, consommer moins.
On ne peut pas priver les gens de la consommation parce que consommer a un côté agréable, mais on peut consommer bien, sans pour autant détruire la planète
Le rôle du marketing est de faire des produits plus responsables, qui ne soient pas obsolescents au bout d’un an, et qui soient sans empreinte carbone gigantesque.
Il est possible de fabriquer en France des produits qui aujourd’hui sont manufacturés en Chine ou au Bangladesh.
On peut aussi faire des produits qui ne font pas mourir des milliers de gens au Bangladesh pour pouvoir les vendre 10 centimes moins chers.
Le changement, c’est maintenant : la Camif ne vend que des meubles qui sont fabriqués en France. On commence à de plus en plus ramener les produits sur le territoire français.
Dans la consommation alimentaire, on peut très bien vendre uniquement des produits de saison. Carrefour, par exemple, en janvier et février, ne vend pas de fraises.
La consommation peut rester festive tout en étant respectueuse
On s’est bien gardé de dire au consommateur qu’en vendant des fraises en hiver, on détruisait la planète. On peut très bien vendre des produits de saison et expliquer pourquoi.
Les distributeurs commencent à le faire et généralement, ce que font les distributeurs est tout à fait en ligne avec les attentes du consommateur. Parce que, contrairement à pas mal de marketeurs, les distributeurs ont le consommateur dans leur magasin.
Ils le voient tous les jours et sont souvent plus en phase avec la société.
Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : le marketing a un avenir… c’est donc qu’il est menacé ?
Le marketing a fait beaucoup pour se faire menacer, à force de faire de fausses promotions, de fausses innovations, ou même du mauvais marketing, comme Steve Jobs, par exemple, qui chaque fois qu’il lançait un nouveau produit, entraînait l’incompatibilité de la connectique du précédent.
Les gens disaient » c’est un produit marketing parce qu’il n’y a pas de vraie innovationL'innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l'environnement, sauf qu’on va payer plus cher « .
Le marketing a mauvaise presse
Dans les années 80, la communication avait mauvaise presse dans le grand public, maintenant, c’est le marketing, souligne François.
En entreprise, le marketing aussi est souvent attaqué par la finance, car les opérations marketing coûtent de l’argent, on pourrait peut-être s’en passer. Étudier le consommateur, passer du temps à faire la stratégie, est-ce bien raisonnable ?
Il est aussi parfois pris en défaut par les ingénieurs. Peu de temps avant que j’arrive chez Thomson, nous explique François, un designer génial qui s’appelait Philippe Starck avait fait une télécommande en forme de cône de glace. Il y avait énormément de retours de ces télécommandes, les clients indiquant qu’elles ne marchaient pas.
Or, dans la mesure où elle était faite comme un cône, il fallait la tenir droite comme un cône, alors que les gens la poussaient devant eux de manière intuitive. Le produit n’avait jamais été testé auprès des consommateurs pour voir s’ils seraient capables de l’utiliser ou pas, et il avait fait quelque chose de psychologiquement inopérant.
L’Intelligence est humaine, pas artificielle : faut-il se débarrasser de l’intelligence artificielle ?
Il ne faut pas vouloir arrêter l’évolution technologique. L’intelligence artificielle peut servir à beaucoup de choses, comme créer des bots qui vont répondre correctement sur les sites InternetLe site web B2B est la vitrine digitale de votre entreprise. C'est le moyen le plus simple et efficace de présenter les produits et services de votre entreprise à vos futurs clients.. La tendance aujourd’hui est de prétendre qu’on utilise de l’intelligence artificielle dès qu’on utilise un algorithme, qui est souvent assez basique.
Le directeur marketing ne doit pas simplement appuyer sur des boutons ou attendre que l’intelligence artificielle fasse tout, il doit y avoir de la réflexion. Si on modélisait tout avec les algorithmes et qu’on n’avait plus besoin de directeur marketing, on se retrouverait vite dans un monde où tout le monde ferait la même chose.
On a besoin d’humanité, de compréhension, et d’empathie, ce que n’a pas l’intelligence artificielle. Aimer les gens à qui on veut vendre, et aimer les gens avec qui on travaille.
Il ne s’agit pas d’interrompre l’intelligence artificielle, il s’agit de savoir l’utiliser à bon escient
Il n’y a pas de raison d’arrêter un système de CRM avec de bons algorithmes qui permettra de mieux satisfaire les consommateurs. Mais il y a une réflexion à faire en matière de stratégie, pour savoir jusqu’où on peut aller.
Pas de marques à mission sans réelle mission de marque
Les “bullshit brands” n’ont pas d’avenir. Il y a des choses qui se font de façon positive, comme le cas des nitrates pour le jambon. On peut très bien les supprimer, et plusieurs entreprises, comme Fleury-Michon, les ont déjà supprimés.
Inversement la Fédération de la Charcuterie fait des procès à Yuka. Certains sont donc plus en pointe que d’autres. Petit à petit, les marques qui sont en retard auront tendance à disparaître.
Même si Yuka a été condamné, indépendamment de l’appel qui a été fait et du soutien des organisations de consommateurs, avec une cagnotte en ligne pour soutenir Yuka financièrement et l’aider à se battre contre l’industrie de la charcuterie, aujourd’hui, l’image de l’industrie de la charcuterie n’est plus ce qu’elle était.

Elle est devenue suspecte, même s’il y aura toujours des gens qui achèteront de la charcuterie pas chère en hypermarché, car ils n’ont pas les moyens de faire autrement.
C’est aussi une des raisons de ce manifeste, souligne François, qui préconise d’inclure les consommateurs, même les plus pauvres. Le rôle du marketing est aussi de pouvoir fournir de bons produits à des gens qui n’ont pas forcément les moyens d’acheter des produits chers.
On peut espérer que grâce aux 36 évidences de l’Adetem, les marketeurs gagnent enfin leurs galons d’éthiqueL’éthique du marketing couvre un champ très vaste de thématiques. Il faut tout d’abord voir l’éthique du marketing comme une sous-branche de l’éthique des affaires. et de respect dont nous avons tant besoin.