Data marketing B2B : le tonneau des danaïdes de la collecte des données
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Collecte de données B2B, données elles-mêmes et information, les enjeux sont énormes et nombreux pour le directeur marketing du 21e siècle qui veut tirer parti du data marketing. Pour mieux comprendre ces enjeux je me suis entretenu avec Jean-Daniel Ruegger, directeur Data Marketing Services chez Ellisphère. Avec lui nous avons évoqué ce sujet qui, malgré les discours, est encore bien mal maîtrisé par les entreprises, qui devraient suivre les quelques conseils de bon sens distillés par mon interlocuteur dans ce podcast.
Data marketing : le tonneau des danaïdes de la collecte des données en B2B
Pléthore de données ou d’informations : le dilemme du data marketing B2B
La pléthore de données à laquelle nous sommes confrontés est sans doute sans précédent. Vous êtes peut-être familiers de la minute sur Internet, ce visuel qui vous retrace les masses de données créées chaque minute sur le Web.
Impressionnant n’est-ce pas ?
Bon, revenons à des choses sérieuses, tout cela n’est pas de l’information mais du bruit. Donald J. Trump pourrait bien, s’il en avait encore le droit, à nouveau inonder Twitter de ses nauséabonds messages pour contribuer à maintenir le niveau de l’infobésité chronique dont souffrent les médias sociaux, que ce ne serait toujours pas de l’information.
L’information est une chose bien précise, qui ne se limite pas aux simples données. Vous pouvez, par exemple, avoir beaucoup de données et peu d’informations. L’exemple parfait ? Une photographie toute noire. Elle pèsera facilement 20 à 30% de plus qu’une photo normale de taille équivalente, surtout si elle a une dominante blanche. Plus de données, moins d’informations . CQFD.
En data marketing, c’est la même chose, m’a expliqué Jean Daniel Ruegger :
« Pour bien naviguer dans cette pléthore de données, il est essentiel de pouvoir identifier les enjeux de l’entreprise. Quel est l’objectif qu’on veut-on atteindre ? Il faut donc commencer par bien identifier celui-ci ».
Mais ne rentrons pas ici dans les méandres du modèle DIKW, de ses antithèses ni de la théorie de Shannon et Weaver (schéma ci-dessus), après tout ce n’est pas le sujet. Le vrai débat est autour de la pléthore de données qui encombre nos entreprises.
L’infobésité en data marketing B2B est aussi le fait des clients
En cela, le nombre de posts Facebook par minute nous importe vraiment peu. A moins que vous soyez une société de veille sur Internet, et encore… Néanmoins, la pléthore de données à disposition des professionnels du marketing (et donc d’informations, dans une moindre mesure) est patente.
« La profusion d’informations dans les entreprises, en interne et en externe, est un véritable enjeu et une problématique de fond pour les directions commerciale et marketing » explique Jean Daniel Ruegger. « Il est donc important pour eux d’avoir une vraie prise en compte de ces sujets ».
Si 20% des américains déclarent être submergés d’information selon le Pew Resarch Center, le B2B n’est pas en reste (voir l’infographie suivante). Je suis d’ailleurs frappé par le manque de données tangibles sur cette infobésité en B2B, voilà qui mériterait une étude sérieuse.
Car le B2B génère de la donnée et du bruit, et les consommateurs aussi, ne serait-ce que par la masse de données de transactions disponibles et que vous serez, ou non, c’est selon, en mesure de décrypter pour mieux servir vos clients
Le marchéLa notion même de marché B2B ou B2C est au cœur de la démarche marketing. Un marché est la rencontre d'une offre et d'une demande de la donnée marketing en pleine expansion
« Le marché de la data marketing est un marché en pleine expansion » nous a expliqué Jean-Daniel.
« La croissance de ce marché en 2018, était de 4,4 % de croissance par rapport à l’économie française qui, elle, peine à dépasser les 1% » a poursuivi Jean-Daniel.
Les défis du data marketing B2B
« Parmi nos clients, nous comptons de grandes centrales d’achats B2BComportement de l’acheteur en B2B : Internet et réseaux sociaux ont bouleversé le comportement de l’acheteur en B2B qui se rapproche du B2C qui ont pour objectif de collecter l’information sur leurs différents segmentsStricto sensu, segmenter signifie diviser son marché en sous-ensembles (segments) qui constituent des groupes homogènes et distincts de clients. Pour cela, il est indispensable de pouvoir sélectionner les informations pertinentes, de les nettoyer, les consolider, afin de centraliser les différentes informations sur la même entreprise ».
Le B2B en ce sens pose des défis en matière de data marketing, comme la question de savoir « identifier l’entreprise sur laquelle je dois réaffecter l’information qui permet de fournir une véritable vision à 360°, quelle que soit la source de la collecte de cette information » explique Jean-Daniel, « ainsi que les rapprocher avec le référentiel d’entreprise et de pouvoir la consolider au sein d’un même outil ».
Cela paraît simple, mais de nombreuses opérations de préparation des données sont nécessaires pour y arriver. Une raison qui explique en grande partie pourquoi tant d’entreprises sont incapables d’exploiter (4% seulement selon CIO magazine) leurs données.
On revient ainsi au sujet précédent, et on commence à mieux saisir la différence entre donnée et information. Il y a déjà quelques années, Information Builders avait estimé à 1% la proportion des données correctement exploitées par les entreprises et j’ai expliqué ici pourquoi cela me semblait logique.
On pense qu’il suffit de claquer des doigts et on se trompe
En matière de data marketing, comme pour nombre d’autres sujets de l’innovationL'innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l'environnement et de la technologie, « dans ce monde où il y a pléthore de données, on pense souvent qu’il suffit de claquer des doigts pour obtenir de l’information, mais ce n’est pas du tout aussi simple que cela » ajoute Jean-Daniel.
Le tonneau des danaïdes du data marketing B2B mal géré
La donnée nécessite d’être gérée, et sa qualité doit être préservée, ce qui exige un travail et des efforts importants ».
Un de mes amis chez Unisys y gérait la base de données clients. Et par clients il faut entendre ici grands clients, les plus petits comptes étant les collectivités locales. Il appelait son travail le « tonneau des danaïdes », du mythe du même nom qui veut que les filles du roi Danaos aient été condamnées à remplir éternellement des jarres percées.
Plus il mettait à jour ses données, plus il en avait à mettre à jour. Chaque année, 30% des enregistrements de cette base de données First Party, comme on les nomme aujourd’hui, voyaient au moins un de leurs champs évoluer. C’est d’ailleurs à peu près la norme sur le terrain, je l’ai rencontrée plusieurs fois par la suite.
30% des enregistrements de la base de données clients voyait au moins un champ changer chaque année
Le pauvre y a même passé toute sa vie, car il s’agit en effet d’une tâche sans fin. Elle peut néanmoins être minimisée par une bonne organisation et une hygiène irréprochable des données.
Exemple emblématique de l’utilisation des données par un leader de l’assurance
Et des améliorations sont possibles, à en juger par le comportement de mon assureur d’entreprise, incapable de mettre à jour une adresse au bout de deux ans.
Comble de l’exploit ce leader mondial s’est rendu auteur d’un courrier de relance (à propos d’un impayé qui n’aurait même pas dû exister car j’ai signé un mandat de prélèvement), dont la date d’envoi était le 2 juin 2021 et la date limite de paiement le 17 mai 2021…
On se doute que ce résultat brillant n’est pas dû au manque de moyens, au vu de la taille de l’entreprise et sa position de force sur le marché.
L’impact de la qualité de la donnée sur la satisfaction et l’expérience clientLe marketing expérientiel consiste à faire vivre au prospect ou au client une expérience mémorable lors de chaque point de contact avec une marque n’est pas une chimère.
Mal organisée, mal gérée, mal nettoyée — on vient d’en voir un exemple — la donnée marketing ne sera rien de plus que le carburant d’un moteur fou qui s’emballera pour multiplier les erreurs et les mauvaises expériences clients.
Retour aux sources de ce à quoi sert vraiment l’informatique
L’informatique sert à automatiser, systématiser et accélérer les processus. Mettez des processus bancals sur des données bancales avec des contrôles bancals et la seule chose que vous arriverez à faire est de faire des erreurs de plus en plus vite.
C’est cela le tonneau des danaïdes, cette absurdité de l’informatique appliquée à mauvais escient.
Avoir plein de données ne sert à rien au décideur si la donnée n’est pas raffinée et utile à la décision
Et remplacer informatique par « digital » — ou encore mieux, transformation digitale, ça fait plus « cool » — ne fera rien pour améliorer les choses,
Le mot de la fin revient à Jean-Daniel Ruegger : « Finalement, avoir plein de données, ça ne sert à rien pour un décideur. Celle-ci doit être affinée afin d’être utile à la décision par rapport à la transaction à réaliser ou la relation d’affaires qu’il doit entreprendre avec son client ou son prospect ».
En conclusion, cette masse énorme de données dont nous avons parlé précédemment ne constitue pas (forcément) de l’information. Il y en a bien trop pour les tâches à réaliser. Il faut, pour remédier à cette infobésité, « bien définir ses objectifs, puis mettre en place une stratégie, couper les informations inutiles pour atteindre ces objectifs, et mettre en exergue le fait d’aller récupérer d’autres informations supplémentaires ». L’important, comme l’explique Jean Daniel dans cette interview est de ne pas « partir dans tous les sens sans savoir ce qu’on cherche ». De sages paroles que nombre d’entreprises devraient apprendre à écouter et que je vous laisse découvrir dans cette interview.