La question cruciale du cœur de métier à l’ère du digital
La question de savoir où est son cœur de métier, et même de savoir quel est son métier tout court, est une question cruciale. En fait, vous ne me croirez peut-êre pas, mais cette question m’accompagne depuis mes premiers pas dans une école de commerce, il y a de nombreuses décennies (le directeur de ladite école était un inconditionnel de la diversification comme panacée managériale, ce qui lui valait quelques passes d’armes avec les inconditionnels de la doctrine inverse, dans un débat aussi stérile que vain : il n’y a pas de panacée managériale).
La question du coeur de métier est cruciale et éternelle
C’est vous dire que cette question du cœur de métier, de la diversification et d’une diversification raisonnable, est au centre des préoccupations des managers depuis la nuit des temps. Dans les années 80, sous l’impulsion de Michael Porter, cette notion de différenciation et de diversification par la transformation (ou les rachat) était déjà très présente.
En fait, c’est une question éternelle : dois-je continuer sur le même métier, quitte à me retrouver un jour sur un marchéLa notion même de marché B2B ou B2C est au cœur de la démarche marketing. Un marché est la rencontre d'une offre et d'une demande déclinant ? Dois-je au contraire créer un autre marché à côté du mien ? Comment faire en sorte que je ne me marche pas sur les pieds ? Et comment faire en sorte également que mes nouvelles initiatives voient le jour et aillent jusqu’au bout ?
La situation n’est pas différente à l’ère de la transformation digitale
En fait, ces questions fondamentales de la transformation des entreprises ne sont pas véritablement différentes à l’ère de la transformation digitale. D’ailleurs certains auteurs se sont amusés à adapter la fameuse maîtrise du BCG dans un contexte de transformation par le digital.
Notez la préposition, je n’ai pas dit de transformation digitale car je ne crois pas qu’elle existe. c’est même là que réside le problème à mon avis.
L’autre jour, je lisais que telle société de transport, pourtant maintes fois épinglée pour la qualité discutable de son service client et de sa communication, était enfin sur la voie de la rédemption grâce à son entité digitale, désormais forte de 2000 personnes, dont une armée de développeurs hors pair.
Une usine agile à applications est-elle une usine à expérience client ?
Certes, l’entité en question est une devenue une véritable usine « agile », c’est à la mode, à produire des programmes digitaux, des applications etc. La question fondamentale n’est pourtant pas là. Retou à la case départ et à la sempiternelle question de savoir où se trouve le bénéfice de ses clients.
Dans l’application ? Dans la facilité d’utilisation de celle-ci et son UX pour employer le mot à la mode ? Certainement pas. c’est faire une lecture bien sommaire de ces quelques années de disruption que nous avons subies (quelle qu’en soit les conséquences finales d’ailleurs). Uber ne s’est pas imposé par son application. Ou du moins pas seulement.
La plupart des sociétés de taxi avaient déjà une app qui ne les a pas protégées
Toutes les sociétés de taxi (dès 2012) ou presque étaient capables de mettre en ligne une telle application. D’aucunes comme G7 l’avaient même déjà. D’autres ont même essayé des bidules technologiques plus ou moins aboutis et qui aurait très bien pu marcher s’ils avaient été mis en œuvre dans une logique business et non technologique.
Mais voilà, produire de la technologie pour produire de la technologie ne sert strictement à rien. mettre une bonne application dans les mains de ses utilisateurs si l’expérience clientLe marketing expérientiel consiste à faire vivre au prospect ou au client une expérience mémorable lors de chaque point de contact avec une marque et mauvaise fera pas changer d’avis sur l’expérience client.
Et cela, à supposer que l’on trouve l’application question bonne. Pour l’exemple que j’ai donné ci-dessus, j’aurais beaucoup à dire également sur le sujet.
Il faut donc faire attention à ne pas se tromper de sujet quand on veut faire de la transformation avec le digital (notez à nouveau la préposition), c’est-à-dire d’utiliser la technologie comme un véritable accélérateur d’expérience client.
Comment rester concentré sur son cœur de métier en se transformant digitalement ?
La question de la place du cœur de métier dans une transformation digitale n’est pas une question anodine. Elle est même essentielle. C’est ce que nous voyons ici dans cette analyse de mauvaises pratiques fameuses qui nous en apprennent plus que les bons livres de recettes du digital. Et comme vous allez le voir, la réponse à la question de cette place du cœur de métier est loin d’être évidente et surtout, pas automatique.
S’éloigner de son cœur de métier ? Une mauvaise idée
Le tout puissant Blackberry a été éjecté du marché des smartphones par l’arrivée de l’iPhone et d’Android. L’histoire est bien connue et les causes de l’échec sont multiples. Mais un point reste : l’entreprise a raté les virages technologiques et n’a pas fait évoluer son « expérience utilisateur ». Elle a aujourd’hui presque disparu. L’une des difficultés principales dans sa transformation digitale est de se tromper d’objectif et, parfois, de s’éloigner de son cœur de métier.
Comment gérer la cannibalisation de son business par les innovations digitales ?
Evoluer, « pivoter », se transformer sous la pression du digital n’est simple pour personne. C’est un choc frontal dans certains secteurs comme l’hôtellerie ou le commerce, plus insidieux dans d’autres. Et le risque de « cannibaliser » son propre business en voulant évoluer est réel.
En soi, ce risque lié à un changement ne date pas de l’ère du numériqueDéfinition marketing digital, un terme utilisé en permanence et pourtant bien mal compris car mal défini. La fameuse matrice du Boston Consulting Group expliquait déjà qu’abandonner un modèle économique « vache à lait » sur lequel repose le chiffre d’affaires actuel pour un modèle innovantL'innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l'environnement demande de l’habileté pour ne pas tuer la principale source de revenus avec un bénéfice futur.
La matrice du BCG s’adapte à l’ère digitale
L’enjeu est de réussir sa transformation digitale sans couper la branche sur laquelle on est assis. Basculer sur de nouveaux process, de nouveaux modèles économiques, de nouveaux produits sans tuer ce qui nous fait vivre aujourd’hui.
Un exercice plutôt difficile. Par exemple, Herbert Diess, PDG de Volskwagen, a récemment déclaré que Tesla « disposait d’un avantage important par rapport aux constructeurs traditionnels en matière de véhicules électriques; ils n’ont pas à s’inquiéter de la protection de leur entreprise de voitures à essence ». Mais certaines qualités de « l’ancien monde » peuvent aussi procurer des avantages comparatifs dans le monde digital. Herbert Diess ajoute : « Certains de nos concurrents sont beaucoup plus rapides que nous en matière de logiciels, de déploiement de logiciels et de fonctionnalités pour lesquels nous sommes toujours à la traîne. Mais nous gardons nos chances car nous avons le savoir-faire pour monter à l’échelle ».
Comment la transformation digitale touche mon métier ?
Les entreprises et leurs dirigeants ont la plupart du temps conscience du bouleversement provoqué par le digital. Mais le diable est dans les détails ou en d’autres termes, dans la mise en œuvre du projet de transformation. Plusieurs attitudes peuvent contrarier cette mutation : le déni, qui minimise le changement, et l’arrogance, qui fait penser qu’on maîtrisera le changement parce qu’on est fort ou dominant sur son marché.
Mais cela peut aussi être l’erreur stratégique qui fait lâcher la proie pour l’ombre.
Tous les métiers ne sont pas touchés de la même manière par le digital. Le numérique peut tout simplement transformer complètement un métier comme dans la presse. Le digital change radicalement le modèle économique des éditeurs qui reposait majoritairement sur la publicité. Il change aussi l’accès au produit et sa diffusion.
Certains titres s’écartent même de leur métier de base comme cette entreprise américaine des médias qui délaisse son métier d’éditeur au profit du consulting.
Kodak, le contre-exemple
A ce propos l’exemple de Kodak est connu et éclairant. Contrairement à une idée reçue, l’entreprise de Rochester a bien vu arriver le changement technologique du numérique, elle a même inventé le procédé en 1975 et a déposé des milliers de brevets sur le numérique. Ses problèmes illustrent plutôt le fait de ne pas avoir pu se diversifier et de rester bloquée sur la photo argentique.
Kodak n’a pas su réinventer son métier de fabricant de pellicules. Son métier centenaire était trop lucratif pour l’abandonner et l’entreprise ne voulait pas cannibaliser son activité.
Le numérique peut aussi bouleverser la manière d’exercer son métier, comme Uber a transformé le métier de taxi, Amazon la vente de livres ou Space X la fabrication de fusées. Ou encore comme l’impression 3D menace les industries en changeant les processus de production (voire aussi les modèles économiques comme le print on demand dans l’édition de livres).
Le dilemme n’est pas forcément « le digital ou la mort » comme on l’entend souvent dire pour basculer d’un modèle reposant sur la licence vers un modèle d’abonnement dans le cloud beaucoup moins cher.
Microsoft a su pivoter tout en se concentrant sur son cœur de métier. Avec réticence puisque l’entreprise de Redmond a mis 5 ans à réaliser cette évolution. Mais elle l’a fait avec succès.
Comment ne pas perdre de vue son cœur de métier ?
Quels sont les points de vigilance des dirigeants face à la « menace digitale » ?
- Le premier risque est de sous-estimer le rôle du digital comme le fait le secteur bancaire (réseau de distribution physique, disruption dans la qualité de services par des concurrents hors métier, minoration des innovations comme la blockchain) ;
- Le deuxième est d’oublier où se trouve la valeur de l’entreprise pour pouvoir la conserver ou la capter via des technologies nouvelles ou des canaux différents.
Pour ne pas perdre son ADN il ne faut pas chercher à mener des batailles perdues d’avance. Et en s’appuyant sur ceux qui les ont gagnées.