IA et Big Data

La voiture connectée roulera au Big Data

Le mot « voiture connectée » n’est pas sans susciter une méfiance voire une certaine angoisse lorsqu’on le prononce. En effet, l’intelligence artificielle embarquée dans les véhicules a toujours été traitée de façon peu optimiste dans les films de science fiction… Une vision du futur un peu sombre bien éloignée des petites Google Car roulant tranquillement sur les routes californiennes. Pourtant, une voiture connectée n’est pas une voiture autonome, bien que l’amalgame soit régulièrement fait. Le principe d’une voiture connectée est simplement de collecter l’information et la traiter pour guider, aider, et apporter plus de sécurité au conducteur. La donnée occupe donc une importance centrale dans ce système : nous avons voulu en savoir plus sur son rôle lors d’une table ronde organisée par CCM Benchmark, réunissant trois experts du secteur, Patrice Slupowski (VP de l’innovation chez Orange), Michael Fernandez (CEO de Drust) et Guillaume Crunelle (Senior Manager chez Deloitte).

Voiture connectée : à quoi sert la donnée ?

Avant de se soucier des problématiques de collecte, de stockage, d’analyse et de traitement de la donnée, il est nécessaire de réfléchir au but de cette donnée, fait remarquer Patrice Slupowski. « L’objet et la connexion prennent toute la place, et on ne pense pas au service rendu au client. L’utilisation des données doit servir à offrir un service à des utilisateurs » avance t-il. Il est nécessaire de penser service, c’est à dire utiliser la donnée dans le but d’apporter une valeur ajoutée. La voiture connectée est donc utile si elle permet d’offrir de nouveaux services, des économies et des améliorations de process. Sinon il ne s’agit que d’un gadget.

Afin de fournir des services, l’information doit remonter à des Cloud. Mais si le système assiste un freinage d’urgence, l’information doit être analysée dans l’immédiat et ne peut remonter au cloud : la voiture doit ainsi traiter elle-même l’information. Voilà pourquoi les services s’articulent autour de deux types de donnée collectées :

  • Le Small Data, qui regroupe les données à l’échelle du conducteur et de sa voiture, et exploitées immédiatement. Cela concerne par exemple sa conduite (écoconduite), le calcul du régime moteur, la masse du véhicule… Le but est de donner des conseils en temps réel, afin de jouer sur le comportement du consommateur pour économiser du carburant, améliorer sa sécurité, etc.
  • Le Big Data, qui concerne l’exploitation statistique de la donnée anonymisée. L’objectif est d’analyser par exemple la consommation globale des véhicules, leur longévité, les flux migratoires de personnes en congés, les préférences des consommations, l’état des voiries grâce à l’analyse de la répartition des freinages, etc.
La voiture connectée roulera au Big Data - Modes de collecte et de traitement des informations d'une voiture connectée
Modes de collecte et de traitement des informations d’une voiture connectée

Et les services délivrés par la collecte et le traitement de ces Small et Big Data devraient être de plus en plus importants selon Guillaume Crunelle. « On va peu à peu évoluer vers un modèle non propriétaire du véhicule, c’est-à-dire que demain, on aura potentiellement le choix entre avoir une voiture et partager un véhicule », explique-t-il, « on passe ainsi du modèle propriétaire au modèle serviciel : et qui dit service dit données ».

Le traitement des données par la voiture elle-même, nous en parlions quelques lignes plus tôt, amène de la porosité entre la voiture connectée et la voiture autonome : « jusqu’où peut-on mettre de l’intelligence dans la voiture ? » questionne Patrice Slupowski. Pour structurer le terme de voiture connectée et le distinguer de celui de voiture autonome, il existe une échelle composée de 6 stades d’évolution (http://www.sae.org/misc/pdfs/automated_driving.pdf).

Comment analyser les données issues des différents systèmes d’exploitation ? Le problème de l’absence de standard

Maintenant que nous savons à quoi sert la donnée, intéressons-nous à la collecte et l’analyse de celle-ci. Retroussons-nous les manches et mettons les mains dans le cambouis (ou plutôt dans les circuits électroniques) : parlons technique et systèmes de collecte de données. Pour faire simple, il existe deux façons de collecter la donnée d’une voiture :

  • Les voitures connectées en natif : elles intègrent le dispositif de collecte et de traitement des données dans leur construction. C’est pour l’instant le cas des voitures haut de gamme, mais cela devrait se généraliser dans la plupart des véhicules dans les prochaines années.
  • Les boitiers télématiques branchés sur la prise OBD (On Board Diagnostics) de la voiture. Cette prise permet de récupérer des informations issues de capteurs afin de dresser un état de santé de la voiture et détecter des pannes. Les boitiers télématiques sont surtout utilisés en raison de l’ancienneté du parc automobile et de son lent renouvellement.

« L’analyse des données constitue un défi technologique » prévient Michaël Fernandez. Ce dernier soulève la problématique du manque de standard. Celui-ci est pourtant nécessaire pour garantir l’homogénéité des données. L’approche propriétaire est encore prédominante, ce qui entraîne des contraintes supplémentaires dans le traitement des données des différents constructeurs : « il faut ouvrir la voiture connectée pour enrichir l’expérience client », appuie le CEO de Drust.

« On sait vers quoi on converge mais on n’a pas encore défini où et comment », précise Guillaume Crunelle. Selon lui, deux solutions de standardisation se profilent à l’horizon :

  • Les constructeurs se réunissent et trouvent un compromis afin de trouver un standard que tout le monde utilisera ;
  • Les constructeurs se comportent comme des acteurs du digital et mettent tout en œuvre pour imposer la technologie qu’ils ont développée : à l’issue du combat, « the winner takes it all ».
Guillaume Crunelle, David Fernandez et Patrice Slupowski ont apporté leur vision sur la voiture connectée
Guillaume Crunelle, Michaël Fernandez et Patrice Slupowski ont apporté leur vision sur la voiture connectée

A qui appartiennent les données collectées ?

Habitués à voir les géants du Web considérer nos données comme leurs, on oublierait presque que ces derniers sont hébergeurs de ces données et non propriétaires, ce que tient à rappeler Patrice Slupowski : « la propriété des données reste claire : les données personnelles appartiennent à l’individu. Le fait de stocker ne donne pas de droits particuliers », prévient-il. « Il est nécessaire d’adopter un principe de consentement, dans une approche limpide, c’est-à-dire pas 150 pages de CGU illisibles ». Dans le cas de la voiture connectée, le conducteur délègue l’exploitation de ses données à un tiers, consciemment ou inconsciemment, et en contrepartie, un service lui est rendu. « Voilà pourquoi il est nécessaire de proposer des services utiles pour que le client accepte de fournir ses données » explique Michaël Fernandez.

Il est certes important d’avoir le principe de transparence en tête, mais pour Guillaume Crunelle, ce n’est pas la tendance du moment : « avec le smartphone, on ne regarde pas les CGU et on accepte tout en bloc : idem avec la voiture, si l’OS est construit par un géant du Web, il y a de fortes chances de donner ses données sans même le savoir».

Les acteurs de la voiture connectées veulent leur part du gâteau

La voiture connectée offre un champ incroyable de perspectives, et tout un écosystème peut se développer autour de ce nouveau marché. C’est ce que pense Patrice Slupowski, même si cela ne va au rythme qu’il souhaiterait : « le marché se cherche encore un peu, cela ne va pas à la vitesse à laquelle cela devrait avancer. Trop de choses sont dépendantes du renouvellement du parc automobile ». En effet, les européens changent de voiture en moyenne tous les 8 ans ce qui ralentit le renouvellement du parc automobile.

Une autre raison du problème d’adoption de la voiture connectée est à chercher du côté des constructeurs. Selon Patrice Slupowski, ces derniers ne poussent pas assez cette technologie : ils proposent simplement la voiture connectée comme une option dans des véhicules haut de gamme, au lieu de la généraliser. Cela peut s’expliquer par le fait que le constructeur n’a pas encore changé son modèle : il ne voit pas encore l’impact du digital sur la vente de voitures. Par exemple, « le combat entre Uber et les Taxis se traduit par un déplacement de propriétaire, donc on ne voit pas concrètement l’impact du digital sur la vente de voitures ». Les constructeurs ne sont pas concernés donc pas prêts à transformer radicalement leur technologie. « Pourtant quand Google dit “on a atteint un million de kilomètres avec nos voitures autonomes”, cela devrait faire réfléchir les constructeurs », s’étonne Patrick Slupowski.

Pour Michaël Fernandez, les constructeurs sont pourtant soumis à la pression des acteurs tournant autour de l’univers de l’automobile : « les constructeurs n’ont pas le choix, tout l’écosystème ne les attendra pas ». Et pour que les constructeurs puissent déployer rapidement cette technologie sur leurs véhicules, ils auront besoin de partenaires.

Voiture connectée : les partenariats font sens

« Avec le digital, les partenariats font sens », annonce Patrick Slupowski, « l’important est de faire des choses vite et de façon pragmatique ». Dans cette logique, l’Open Source occupe une place centrale, notamment grâce à son apport en créativité. « La voiture connectée est un sujet complexe qui s’inscrit dans une chaîne de valeur où beaucoup de métiers se rencontrent, comme la conception, la location, l’assurance, la donnée… » ajoute Michaël Fernandez, « chacun doit trouver sa place et travailler ensemble pour partager le gâteau ».

Pour Guillaume Crunelle, « la taille des investissements et les exigences de rentabilité vont conduire à des modes de développement conjoints ». Pour lui, les constructeurs ne sont pas naïfs et on toujours été au centre des changements durant leur histoire, avec notamment l’arrivée de l’électronique et de l’informatique dans les voitures. « Les géants du web connaissent les utilisateurs, les constructeurs connaissent des conducteurs : ces derniers ont des attentes au niveau de la sécurité et de la facilité d’usage que Google n’apportera pas ». Les partenariats sont donc indispensables dans l’évolution de cette industrie.

Le futur de la voiture connectée : des véhicules connectés et partagés

Selon Michaël Fernandez, « une bonne partie du parc sera connectée dans 5-10 ans, et les différents acteurs de la chaîne de valeur auront finalement trouvé leur place ». Cela fera suite à une phase de réglage où tous les acteurs vont se faire une place.

Et pour ce faire, il est important de penser à l’expérience. Tout ce que ce que font les constructeurs doit l’être pour le consommateur : « les gens ne veulent pas avoir une voiture connectée car ils ne savent pas ce que c’est : il ne faut pas leur dire “vous allez avoir avoir une voiture connectée” mais “vous allez faire des économies d’essence” », explique Michaël Fernandez. La connexion reste donc un moyen et non une finalité.

Guillaume Crunelle voit quant à lui l’avenir selon 4 scénarios :

  • Le propriétaire qui n’a pas envie de “lâcher le volant“ ;
  • Le propriétaire qui lâche le volant ;
  • Partage du véhicule : ubérisation, mobilité sur demande ;
  • Partage du véhicule, où personne ne conduit.

Ce dernier scénario semble très prometteur, vu le constat fait aujourd’hui : 94% du temps, les voitures restent garées. Aussi, il y aura bientôt 10 milliards de personnes dans le mode qui voudront se déplacer en voiture. « Il n’y aura jamais assez de routes et de places de parking pour tout accueillir », avertit Guillaume Crunelle. La technologie pourra ainsi permettre de contourner ce problème.

Cette vision peut nous paraître irréaliste, mais comme le précise Partice Slupowski, « on ne se rend pas compte des changements en cours, par exemple il était d’usage de fumer en cours il y a encore quelques années, ce qui paraît inconcevable désormais. Idem avec la révolution du smartphone : cela ne fait que 10 ans, mais aujourd’hui tout le monde a transformé ses usages ».

Et pour se convaincre que cette révolution des usages automobiles est en cours, il suffit de se pencher sur une actualité du 15 octobre dernier, passée relativement inaperçue : les possesseurs d’une Tesla ont reçu le premier stade de conduite autonome par software update et non par modification physique de la voiture. Les Tesla sont ainsi devenues autonomes dans les embouteillages grâce à une “simple” mise à jour, comme pour un smartphone. Nous en sommes encore qu’au démarrage, mais la révolution automobile est bien en route.

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Cédric Jeanblanc

Cédric is a Web Marketing consultant at Visionary Marketing. He was named "Rising Star of Content Marketing" by the Content Marketing Academy in 2017, he specializes in the production of multimedia content, feature articles, videos and podcasts. _________________________ Cédric est consultant en marketing Web chez Visionary Marketing. Il a été nommé "Rising Star of Content Marketing" par la Content Marketing Academy en 2017. Il est spécialisé dans la production de contenus multimédia, d'articles de fond, de vidéos et de podcasts. More »
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