Marketing & Innovation

Réinventer la pub avec l’IA et garder son âme

Innover en publicité n’est probablement pas aisé. Il n’y a qu’à jeter un œil sur ce dinosaure du Web intitulé « Joe La Pompe » pour s’en convaincre. Les publicitaires de tout bord ont recours de manière assez constante au plagiat ou à l’autocitation. Mais il existe aussi des agences qui créent et qui inventent et c’est ce que j’ai voulu creuser ici en interviewant Agnès Mazières, directrice générale de Wildbytes Paris, la petite agence qui monte et qui est spécialisée dans la publicité innovante. Ici, nous nous sommes focalisés sur trois exemples d’innovation, avant d’élargir le sujet au rôle de l’innovation en général et de l’IA en particulier dans l’innovation publicitaire. Voici le résumé de cet entretien que vous retrouverez intégralement dans notre podcast du jour, le 585e enregistrement de cette série.  

Innover en publicité avec l’IA et garder son âme

Innover en publicité et en particulier avec l'IA doit être un moyen d'inventer de nouvelles choses. Mais il ne faut pas perdre son âme ni se banaliser, car la logique de coût se fait au détriment des marques explique Agnès Mazières de Wildbytes - photo de l'exposition Augustin Frison-Roche au collège des Bernardins — Épiphanie
Innover en publicité et en particulier avec l’IA doit être un moyen d’inventer de nouvelles choses. Mais il ne faut pas perdre son âme ni se banaliser, car la logique de coût se fait au détriment des marques explique Agnès Mazières de Wildbytes  – image Midjourney

Citez-nous un premier exemple d’innovation en publicité !

Orange et la Liga espagnole sont venus consulter Wildbytes en 2019 en nous mettant au défi de capter l’attention des spectateurs qui semblaient tous se réfugier dans leurs mobiles pendant la mi-temps des matchs. L’agence a ainsi créé une animation géante en réalité augmentée, avec un footballeur virtuel effectuant des jeux de jonglage au milieu du terrain, visible directement sur smartphone.

Screenshot

Cette innovation, que nous comparons à un « mini Super Bowl en réalité augmentée », offrait une alternative économique aux spectacles traditionnels de mi-temps. L’expérience a été inaugurée lors d’un match FC Barcelone-Celta Vigo en 2019, créant une interaction unique entre le public et le stade.

Il y avait 60 000 spectateurs dans le stade. Environ 30 % du public s’est connecté. Mais ce qui nous a surtout intéressés, c’est tout le contenu généré par les utilisateurs sur les médias sociaux. C’est ce qui fait la beauté de ces expériences-là et qui transforme un match en expérience unique. 

Pour Coca-Cola, votre dispositif était bluffant, pouvez-vous le décrire ?

Suite au succès d’une campagne virale pour Forever 21, Coca-Cola nous a sollicités en 2017 pour créer une expérience exceptionnelle sur Times Square. Plutôt que de se contenter d’une animation 3D classique, technologie déjà maîtrisée, l’agence a voulu pousser plus loin le concept de l’immersion. L’innovation réside dans la création d’un panneau publicitaire dont les écrans sont robotisés pour générer un véritable volume physique. Cette approche transforme radicalement l’expérience publicitaire traditionnelle en dépassant la simple stimulation visuelle pour créer une sensation physique de plénitude, reflétant l’effet recherché par la marque de boisson.

Ils voulaient travailler sur les sensations, soit le plaisir procuré par cette boisson [NDLR À consommer avec extrême modération pour éviter les impacts sur la prise de poids]. Nous nous sommes demandé comment la technologie pouvait nous aider à remplir ce cahier des charges.

Évidemment, on pouvait faire un très beau film en 3D, c’était déjà faisable en 2017. Mais cela était limité à une sensation visuelle, quand bien même la vidéo transmettrait beaucoup d’émotions. Nous avons donc travaillé sur le concept et nous avons écarté la 3D au profit d’un écran géant fait d’une myriade d’écrans robotisés de manière à recréer une véritable sensation de volume.

Comment intégrer l’IA dans la création publicitaire ?

Il s’agit d’une innovation plus récente, en 2023, tout au début du boom de l’IA générative dans le grand public. On l’utilisait chez Wildbytes depuis déjà un petit moment, surtout pour des travaux de recherche et de R&D à l’intérieur de l’agence. 

Quand Bershka est venu nous voir en nous demandant de les positionner parmi les premiers à utiliser l’intelligence artificielle dans leurs actions publicitaires nous avons répondu présents. 

Bershka est vraiment une marque des jeunes générations très technophiles, et ils voulaient se rapprocher de cette cible-là. Mais ils ne voulaient pas faire de l’intelligence artificielle pour faire de l’intelligence artificielle. Ils désiraient au contraire que cela ait un lien avec leur sujet. 

Nous avons donc utilisé l’intelligence artificielle et Midjourney, parce que la vidéo n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui. Avec Midjourney, nous avons créé un visuel par année. Ceci nous a permis d’illustrer, avec l’intelligence artificielle, les 25 ans de Bershka en prenant toujours des jeunes et en les remettant année après année, dans le contexte économique, social, et les tendances de l’année en question. 

Cela a produit un film avec un peu plus de 25 vignettes qui vient témoigner de l’évolution de ces générations. Sans IA, un film comme cela aurait engendré des coûts de production démentiels. S’il faut 25 plateaux de tournage, 25 décors, 25 castings, 25 tenues… L’IA a permis de rendre possible la production de ce concept publicitaire.

L’IA en publicité : facilité ou nécessité ?

Beaucoup de marques viennent nous voir avec une logique de « coup ». Ils veulent faire quelque chose qui vienne marquer les esprits pour un lancement de produit. C’est notre spécialité chez Wildbytes, lancer un produit marquant, du jamais-vu. 

Cela demande de maîtriser les cycles de maturité des technologies. Certaines technologies immersives qui se développent aujourd’hui, sont encore dans une phase très amont, et réservées aux « adopteurs précoces ». 

L’IA a quant à elle plus d’impact sur les jeunes générations qui cherchent une manière radicalement différente de se connecter aux marques. 

Elles désirent vivre des interactions avec les marques plus que de recevoir des messages. Quasiment plus aucun magasin n’existe sans café à l’intérieur, par exemple. Même Zara a sorti Zara Café pour cette raison. Les jeunes générations veulent vivre des expériences. 

La technologie permet cela. 

Quels sont les bénéfices de l’IA en publicité ?

Je pense que l’IA en publicité par IA est destinée à aider la production. C’est ce qu’on voit dans l’exemple de Bershka. Il s’agit de dispositifs qu’on n’aurait pas pu produire autrement. Cela n’a rien à voir avec une simple logique de réduction des coûts. Par contre, il est sûr que cela permet de rendre certaines productions complexes plus accessibles. 

Je crois ainsi que la pub Coca-Cola par IA en 2024 est ratée. Ce qui est produit n’est pas émouvant, il manque quelque chose. Dans ce cas, le rôle de l’IA est uniquement d’accélérer la production. Alors qu’elle pourrait être utilisée pour ouvrir de nouveaux champs de conception. 

Cela est comparable à la publicité en dessin animé (voir ci-dessous). Elle a peut-être fait baisser les coûts, mais ce n’était pas le but, c’était une autre manière d’exécuter les projets, il y avait une vraie raison pour laquelle on utilisait le dessin animé.

Comment éviter le piège de l’automatisation à outrance ?

Si les directions marketing s’approprient l’IA sans démarche conceptuelle et R&D, elles ne pourront pas faire coller l’esthétique de l’IA avec celle de leur marque. Ce n’est pas à la marque de rentrer dans l’esthétique de l’IA, c’est l’inverse. 

Sans cette réflexion préalable, on ira tout droit vers l’uniformisation de l’image. Pourtant, il existe des technologies, notamment avec Midjourney, qui permettent une ou plusieurs modes de personnalisation.

L’IA va-t-elle sonner le glas de la pub traditionnelle ?

Nous ne le croyons pas chez Wildbytes. Nous pensons que l’IA sera de plus en plus présente au sein d’un marketing de plus en plus expérientiel, car elle permet davantage de personnaliser et de « gamifier ».

Je pense que l’on verra de plus en plus de publicités hybrides. 

Nous sommes en pleine création du stand de l’Espagne pour l’Expo universelle d’Osaka. Nous y produisons le contenu autour de la valeur ajoutée touristique de l’Espagne. On aurait pu tout faire en IA, mais cela n’a pas été notre choix. Nous avons au contraire décidé de mélanger les technologies et d’obtenir un mix des rendus qui permettent de préserver des émotions plus authentiques. Cela implique des modes de production plus traditionnels.

L’IA est-elle un tueur de créativité et d’emplois dans la publicité ?

Je ne suis pas économiste, mais je ne serais pas étonnée que des coupes aient lieu. Quand on vit de tels changements de paradigme dans la manière de produire les contenus, les acteurs économiques anticipent les changements à venir. C’est-à-dire que les mesures qui seront prises iront dans le sens de la dureté, afin de protéger la rentabilité des agences. Celle-ci pose problème depuis des années en France. 

Donc, je pense que les agences, par effet d’anticipation, feront malheureusement plus de coupes dans le personnel que pas assez. Et je le comprends avec ma casquette de dirigeante. 

Mais je pense qu’il y aura un effet de rattrapage. Une fois qu’on a compris effectivement les réels impacts de l’IA, la situation va s’équilibrer et on recommencera à étoffer les équipes. Mais nous ne reviendrons pas à l’identique, en tout cas pas sur les mêmes postes. 

Il faut vraiment avoir deux manières de voir les choses, une très créative et l’autre très technique. Il faut réconcilier ces deux aspects. Cela nous amènera à hybrider les profils. J’ai commencé ma carrière dans le marketing relationnel et les agences embauchaient alors énormément de statisticiens. Maintenant, pour les agences de pub et de marketing, on embauchera sans doute des ingénieurs.

L’innovation est-elle une exception dans un paysage publicitaire désespérément répétitif ?

Je crois qu’on est dans une ère du ROI qui dure depuis un peu trop longtemps. Le marketing digital a accru cette tendance du « tu vas faire une pub, tu vas gagner tant ! » Je comprends cette obsession pour la performance des marketeurs et des dirigeants. 

J’ai accompagné Nivea pendant longtemps. Nous avions créé d’excellents scripts avec le Paris Saint-Germain et obtenu de très bons résultats aux tests. Mais quand nous les avons présentés au siège à Hambourg, ils nous ont dit : « Non, la pub avec le Real Madrid en Espagne a cartonné, alors utilisez le même script. » Nous avons donc dû abandonner six mois de travail. Je comprends cette décision : ils voulaient maximiser l’impact de leur communication et rentabiliser leur investissement.

Mais le ROI à tout prix ne fait pas de bien aux marques. Et de temps en temps, il faut aussi prendre des risques, accepter une part d’incertitude.

Je crois que cela va se calmer et que l’obsession des coûts cédera le pas à la stratégie et à une créativité plus risquée.

L’interview avec Agnès Mazières en vidéo

À propos de Wildbytes

L’agence Wildbytes a été fondée entre New York et Madrid en 2015. Elle est présente à Barcelone, à New York et a récemment établi une présence en France. Il s’agit d’une agence spécialisée dans la création d’expériences numériques et physiques innovantes. Elle se concentre sur l’utilisation de technologies avancées pour concevoir des produits et expériences qui captivent le public. Wildbytes a travaillé avec Sephora, Pull&Bear, Bershka, Cupra, FC Barcelone, Orange, Guerlain, Dior et Eucerin, concevant des campagnes innovantes qui intègrent technologie et créativité pour captiver leurs publics respectifs.
Pour en savoir plus : l’agence Wildbytes s’installe en France – CB News

Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of many books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de plusieurs livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »

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