économie et numérique

Un management venu d’Haier

Principes d'organisation pour le XXIe siècle

Et si Haier, une entreprise chinoise, nous donnait une bonne leçon de management ? Jérôme Delacroix et Youssouf Chotia ont publié fin 2023 un livre intitulé « Et si on copiait les entreprises chinoises ?» Un titre volontairement provocateur et assumé par les auteurs. Quoi qu’il en soit, à en juger par leur succès, il y a peut-être — toute considération idéologique mise à part, car nous ne faisons pas de politique sur Visionary Marketing — de bonnes idées à prendre dans ces entreprises chinoises et Haier en particulier. Le sous-titre de ce livre : le modèle Haier, principes d’organisation pour le XXIe siècle. Un ouvrage fouillé et référencé écrit par deux experts. Pour en savoir plus sur ce livre et sur les méthodes de management de l’entreprise chinoise, j’ai posé mes questions à Jérôme.

Haier, quand le management chinois s’est éveillé

Haier : quand le management chinois s’est éveillé
Haier, quand le management chinois s’est éveillé — Image composée avec Midjourney

Qui est Haier ?

Haier n’est pas forcément une marque très connue chez nous. Et pourtant, c’est le numéro un mondial de l’électroménager depuis 14 ans sans discontinuer. Pourquoi le nom Haier ? Pour sa consonance allemande. Dans les années 80-90, quand elle a commencé à se moderniser, la société a choisi un modèle, celui de la fameuse « Deutsche Qualität », de l’excellence allemande. Et le PDG de l’entreprise s’est rendu en Allemagne pour différents voyages d’études. C’est ce qui l’a poussé à choisir un nom à la sonorité germanique.

Donc un nom allemand et un modèle managérial inspiré d’une entreprise américaine ?

Ce qui est passionnant, c’est la capacité de cette société chinoise à se réinventer en permanence depuis 40 ans. Et c’est probablement la clé de son succès. Effectivement, l’histoire commence en 1984 à Qingdao (alias Tsing Tao) qui est une ville portuaire à l’est de la Chine. C’est là qu’on fait la bière dans l’usine qui a été créée, à l’époque où la ville avait été léguée à l’Allemagne par les Mandchous.

Haier
Le management Haier a dû être particulièrement efficace si on en croit le succès de cette entreprise qui a pris la première place des fabricants de produits blancs dans le monde.

Ancienne colonie allemande et inspiration américaine

Monsieur Zhang, comme beaucoup de Chinois à l’époque, avait repris une usine complètement décrépie, la Qingdao Refrigerator Company, telle qu’on l’appelait par son nom anglais. Et il faut voir que cette période est celle de l’ouverture de la Chine, sous Deng Xiaoping, donc une période de réforme. Ce jeune patron entreprend donc de redresser la société.

Le bâtiment de la société chinoise Haier à sa reprise dans les années 1980. Le management à la Haier est arrivé après, et que de chemin parcouru… – image Jérôme Delacroix et Youssouf Chotia (légèrement retouchée et complétée avec Photoshop qui a reconstitué les parties gauche et droite de la photo pour la mettre au bon format. Le centre de la photo est original)

Il s’est en effet inspiré au départ de théories américaines et en particulier de Peter Drucker et de l’accent mis sur la qualité et sur le fait qu’une société doit être au service de ses clients. Ce qui à l’époque, en Chine, était tout sauf évident.

D’abord répliquer les recettes qui ont fait leurs preuves

Haier : quand le management chinois s’est éveillé
Le management selon Haier : Et si on copiait les entreprises chinoises ? par Youssouf Chotia et Jérôme Delacroix

Pendant 10 ou 15 ans, il a commencé par appliquer des recettes qui avaient fait leurs preuves ailleurs autour de la qualité totale, de la mise en place de processus, de tableaux de bord. Ce sont des choses assez classiques en management, dont le but était de remettre la société sur ses rails.

Et cela a plutôt bien fonctionné, puisque Haier est devenu le leader sur son marché domestique. Puis, en 1999, avec l’adhésion de la Chine à l’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce, le pays s’est vraiment ouvert à la concurrence internationale.

L’adhésion à l’OMC a impliqué deux choses : les sociétés occidentales pouvaient venir en Chine, et les sociétés chinoises avaient le droit d’exporter.

Puis inventer son propre modèle

C’est là que M. Zhang se rend compte que son modèle ne va pas lui permettre de passer à l’échelle. Il a réussi à remettre un petit peu de rationalité dans ses processus. Ce qui fonctionne en Chine, mais il est convaincu que les concurrents étrangers riposteront et que cela ne lui permettra pas de conquérir des parts de marché à l’étranger.

De ce fait, au tournant du XXIe siècle, il se dit qu’il doit réinventer son modèle. Et c’est comme ça que petit à petit, il va inventer son propre modèle en apportant justement tout l’apport de la culture chinoise.

Management Haier
Un des sièges de la société chinoise aujourd’hui, à l’évidence, le modèle de management de Haier a porté ses fruits. Avec quelques interrogations sur sa mise en œuvre, mais sûrement pas sur son efficacité.

Monsieur Zhang est-il encore là aujourd’hui ?

Non, il a passé la main il n’y a pas très longtemps, il y a peut-être 2-3 ans. Aujourd’hui, c’est un gourou du management en Chine, il donne des conférences.

Mais ce qui est intéressant, c’est de voir ce qui est original dans ce modèle.

Ce qu’il a apporté de nouveau, c’est la volonté de donner énormément d’autonomie aux salariés. Cela peut sembler une copie d’un concept qu’on rencontre beaucoup chez nous aussi. Mais ce n’est pas le cas.

Chez Haier, M. Zhang a appliqué l’empowerment de manière radicale.

D’abord en la décomposant en ce qu’il a appelé des micro-unités. C’est-à-dire que chaque microentreprise pouvait choisir elle-même son mode de gestion. À l’intérieur d’un cadre donné, quand même, un cadre hiérarchique. Mais il est allé encore plus loin un peu plus tard.

La preuve de cette efficacité du modèle de management de Haier

Des microentreprises entièrement autonomes

Mais à partir des années 2005 et plus encore 2012, il est allé encore beaucoup plus loin en divisant carrément sa société en microentreprises totalement autonomes.

Et quand on parle d’autonomie, cela veut dire qu’elles ont leurs propres comptes de résultat, leur propre management, la possibilité d’embaucher, de débaucher, de fixer des salaires, de décider sur quel marché elles vont aller.

Ainsi, il a transformé une société de 50 000 personnes en un vivier d’environ 4 000 microentreprises qui font en moyenne 20 salariés complètement autonomes.

Avec une place de marché interne, une contractualisation entre ces microentreprises, une mise en concurrence interne. Et cela a remarquablement bien marché puisque comme je le disais cela permit à la société de devenir leader mondial de l’électroménager.

Ce qui est ironique c’est que M. Zhang a fait l’inverse de ce que tout le monde raconte ici : il a créé plein de silos à l’intérieur de son entreprise !

Ce ne sont pas vraiment des silos. Silo voudrait dire « entreprises juxtaposées » qui ne se parlent pas ni qui ne communiquent entre elles. Alors que ces microentreprises sont en osmose, communiquent les unes avec les autres.

Et il a mis au point ce qu’il a appelé des plateformes. C’est un pionnier de la plateformisation.

Ce sont des places de marché internes sur lesquelles chaque microentreprise vient proposer ses services aux autres microentreprises du groupe et aussi à l’extérieur.

Donc en rendant accessibles les prix, l’offre, les conditions contractuelles, tout est transparent.

Cette organisation est plus comparable à une « jungle » qu’à un ensemble de silos

Ce n’est pas forcément mieux, une « jungle » !

C’est une image que Zhang prend lui-même. Il parle de forêt vierge pour décrire son entreprise.

Les plateformes que j’ai évoquées un peu plus tôt, ont remplacé les fonctions support ou le middle management. Là où autrefois il y avait un département logistique, il a créé une plateforme qui s’appelle RRS Logistics, qui est en fait une place de marché.

Il a fait la même chose dans le domaine de l’approvisionnement en créant une plateforme qui s’appelle COSMOplat (acronyme de Cloud of Smart Manufacturing Operation Platform).

C’est la loi de l’offre et de la demande qui régit l’ensemble des échanges, avec l’aide d’outils informatiques qui permettent de choisir sur catalogue, de faire des appels d’offres. Exactement comme on pourrait le faire sur Ali Baba, par exemple.

Cette autonomie va-t-elle de pair avec une culture du résultat et de la performance ?

Tout à fait. Les salaires sont indexés sur la performance, celle de la microentreprise et aussi la performance individuelle, selon des critères qui sont transparents.

Ce culte de la performance va assez loin.

C’est ce que Haier a appelé le paradigme du poisson-chat.

Chaque microentreprise est gérée par un leader. Le leader, c’est celui qui a réussi à porter un projet et à convaincre le top management, car ce dernier n’a pas disparu. Le leader a démontré qu’il était capable de prendre sa place sur un marché, de rassembler une équipe autour de lui, etc.

Un salarié qui arrive à faire cela obtient un budget, peut créer sa microentreprise, et ensuite recruter sa petite équipe au sein d’un vivier de talents.

Face au leader, il y a le poisson-chat. C’est une autre personne, un numéro 2 pourrait-on dire, connu de tous, et dont on sait à l’avance qu’il prendra la place du leader si ce dernier n’atteint pas ses objectifs.

Pression maximale! Je suppose que si on manageait nos braves Gaulois ainsi, on aurait la grève !

Le titre du livre (NDLR et si on copiait les entreprises chinoises) est bien entendu un clin d’œil, puisqu’on avait coutume jadis de dire que la Chine n’inventait rien et se contentait de copier.

Exactement comme ce qu’on a dit dans le passé à propos des Taïwanais, et exactement la même chose qu’on a dit pour les Japonais quelques années plus tôt.

C’est par volonté de provoquer en interpellant le lecteur.

Peut-être bien qu’il y a des choses à récupérer dans ce modèle, même si on ne le copie pas à l’identique.

Alors, comment faire passer le mode de management Haier en France ?

Ce n’est pas forcément évident, mais ce modèle n’est pas forcément aussi éloigné des nôtres que ce qu’on pourrait penser à première vue.

Prenons l’exemple du poisson-chat par exemple. Tout le monde sait que dans les grandes entreprises françaises ou occidentales, les poissons-chats sont là et que les savonnages de planche existent. Mais ils ne sont pas nommément désignés, ils agissent dans l’ombre.

La seule différence avec notre façon de fonctionner, c’est que les choses sont officialisées. Elles sont mises sur la table.

Mais ceci n’est pas forcément exclusif d’une certaine forme de coopération.

Haier
Cosmoplat, la place de marché interne d’approvisionnement — image Haier

Un modèle de management compliqué à mettre en œuvre chez nous

Mais pour répondre à ta question, c’est évidemment compliqué à adapter tel quel dans le système français. D’ailleurs, probablement que le droit du travail tel qu’il existe aujourd’hui ne le permettrait pas.

Cependant, certaines entreprises occidentales commencent déjà à faire des expérimentations qui vont dans ce sens, sans pour autant aller aussi loin. Elles laissent gérer des comptes de résultat virtuels ou injectent une grande part de variable dans la rémunération.

Connais-tu des exemples d’adoption du modèle de management de Haier ?

Fujitsu Siemens, qui n’est pas une entreprise française, mais qui exerce en Europe du Sud et notamment en France.

Cette société s’est inspirée du modèle Haier, qui s’appelle le Rendanheyi (voir ci-dessous) pour sa branche Internet des objets et cloud. Pour cette nouvelle activité, elle a fait le choix d’adopter ce modèle fortement entrepreneurial. C’est peut-être plus facile pour une spin-off, pour une nouvelle branche, qui a pour but d’aborder un nouveau secteur, que pour une entreprise qui a déjà pignon sur rue.

“Littéralement, Rendanheyi évoque le couplage étroit entre la valeur créée pour les utilisateurs et la valeur reçue par les employés.

« Ren » signifie peuple ou personne. Haier utilise ce terme pour désigner les employés au sein d’une organisation. “Dan” signifie ici commandes, et représente les besoins ou la demande des utilisateurs. “Heyi” signifie intégration. Donc, nous parlons du fait que chaque employé crée de la valeur pour les utilisateurs. Dans ce modèle, chaque salarié de chaque service, y compris en recherche et développement, est responsable de la vente – ou de l’absence de ventes – du produit qu’il contribue à développer.”

Extrait de : Youssouf Chotia & Jérôme Delacroix. “Et si on copiait les entreprises chinoises ?”. Amazon

Management Haier

Yann Gourvennec
Follow me

Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page