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Marques et marketeurs, vous faudra-t-il quitter les réseaux sociaux ?

Est-il temps pour les marques de quitter les réseaux sociaux ? Les plates-formes d’échanges collaboratifs n’ont pas très bonne presse ces temps-ci. Ils sont affublés de tous les maux (« fake news », terrain de jeux des activistes de tout poil, batailles rangées sur Twitter…). mais cet état de fait, ce « marécage » selon les mots de Jessica Liu de Forrester, est aussi et surtout le fait des marketeurs eux-mêmes.

Selon Forrester, les marques qui ne comprennent pas les réseaux sociaux devraient les quitter !

Marques quitter médias sociaux
Les marques qui ne comprennent pas leurs possibilités infinies devraient quitter les réseaux sociaux, selon Forrester (rapport : It’OK to break up with social media)

À force de compétition sur les réseaux sociaux pour avoir des comptes plus gros que le voisin, de batailles rangées pour obtenir l’attention de consommateurs de plus en plus volages, ceux-ci ont fini par perdre de vue l’objectif et redoublèrent d’efforts en déversant des tonnes de publicités plus ou moins faciles à mesurer.

Un rapport au vitriol sur le rapport des marques aux médias sociaux

Forrester, dans un rapport au vitriol, à propos duquel son auteure m’a confié par LinkedIn qu’il avait fait grincer quelques dents, met l’accent sur les vrais travers du marketing sur les médias sociaux, dans la droite lignée de ce que Visionary Marketing répète inlassablement depuis 10 ans, y compris dans les derniers rapports Hootsuite, et du livre « Web 2.0 15 ans déjà et après ? » (Kawa, 2020.)

Étudions ce rapport qui pour être controversé, n’en est pas moins fondamental, au point que je ne manquerai pas de l’inclure dans mon cours sur le marketing du bouche-à-oreille et des médias sociaux. Et répondons à la question : « Marketeurs, devriez-vous quitter les réseaux sociaux » ?

Lush UK a bien décidé de quitter les médias sociaux en 2019…

Jessica Liu, n’y va pas par quatre chemins. Dans son rapport « It’s OK to Break Up With Social Media » (13 mai 2020), citant l’exemple de la société anglaise Lush en 2019, elle met en exergue le fait que certaines sociétés peuvent quitter les médias sociaux, lorsqu’elles sentent que les actions qu’elles y mènent sont en désaccord avec leurs objectifs.


Fait remarquable par ailleurs, je croyais que Lush, à l’époque, avait tenté un coup médiatique sur Twitter pour mieux y réapparaître quelque temps plus tard. Force est de constater qu’un an a passé depuis avril 2019 et que leur compte Twitter est toujours fermé. Ou plutôt qu’il est toujours ouvert (on ne sait jamais…), mais qu’il est muet.

Trois points à retenir de ce rapport Forrester

Revenons aux sources, et résumons avec Jessica les trois points cruciaux qui ont motivé son rapport :

  1. Tout d’abord la complicité des marketeurs dans l’état actuel des médias sociaux.

Il y a de nombreuses années, toutes les entreprises posaient cette question « devrions-nous être sur les médias sociaux » ? Avec Hervé Kabla, dans notre premier ouvrage « les médias sociaux expliqués à mon boss » nous avions répondu à cette question par l’affirmative. Cela avait alors un sens évident, il fallait être là où étaient ses clients et engager la discussion avec eux. Mais depuis de nombreuses années (voir la vidéo Hootsuite que j’avais enregistrée en 2013), les marques ont perdu de vue cet objectif.

Quitter les médias sociaux
Jessica Liu, auteure du rapport « It’s Ok to break up with social media » (photo Forrester) enjoint les entreprises à mieux comprendre les réseaux sociaux ou à les quitter

Elles ont cessé d’écouter leurs publics et d’engager la discussion avec eux. Paradoxalement, c’est au moment où elles cessent de se poser cette question qu’elles se devraient justement d’y répondre. Tous les ans, je mets mes élèves au défi en prenant une quarantaine de marques anglaises (pour la plupart inconnues en France) dont je leur fais étudier les stratégies de bouche à oreille sur les médias sociaux.

La réponse est quasi systématiquement la même. Hormis quelques bons élèves comme Giff Gaff, l’essentiel de ces marques n’est pas là pour écouter, mais pour bavarder et faire de la publicité descendante. Comme cela ne fonctionne plus organiquement, on déverse des tonnes d’argent sur des influenceurs plus ou moins interlopes. À de nombreuses reprises, j’ai exhorté les marques à revenir à la raison.

Je me réjouis de voir que Jessica Liu en arrive à la même conclusion. Il y a quelques années, invité à intervenir chez un grand acteur du e-commerce, je me suis aperçu assez rapidement qu’ils se faisaient laminer sur les médias sociaux pour la mauvaise qualité de leur service de livraison.

Ce qu’ils ont admis sans se faire prier et en ricanant. Puis ils m’ont expliqué qu’ils payaient de la publicité pour faire voir leurs posts (souvent des chamusants postés sur Facebook) alors qu’en même temps, ils payaient d’autres personnes pour supprimer les commentaires négatifs auxquels il ne voulait pas répondre.

Leur expliquant qu’il aurait peut-être fallu travailler avec l’équipe d’à-côté sur la qualité de la livraison, on me fit remarquer que cela n’avait aucun rapport avec le sujet. Je considère au contraire que cela est tout le sujet et je suis donc parti sans demander mon reste.

Il faut oublier cette manière descendante d’utiliser les médias sociaux. Si, comme pour la plupart des marques que je fais mesurer à mes élèves, vos murs Facebook sont pleins de commentaires auxquels vous ne répondez pas, mon seul conseil est de fermer votre page. Si au contraire, vous l’utilisez pour discuter avec et faire avancer votre métier dans leur intérêt et le vôtre, alors dans ce cas, au contraire développez votre page Facebook.

  1. Toujours sur le même sujet, Jessica nous enjoint à revenir aux sources des médias sociaux

« Les médias sociaux ne sont pas là pour parler de vous (des entreprises) ; mais pour vous intéresser à eux (les consommateurs) » explique-t-elle. Je ne vois pas d’ailleurs pourquoi on limite cela aux consommateurs, la remarque vaut tout à fait pour les entreprises en B2B.

Mais force est de constater qu’en B2B on est souvent plus orienté sur l’expertise et les écosystèmes et que finalement, contre toute attente, pour ceux qui ne connaissent pas bien le secteur, et conformément à ce que j’annonce depuis toujours, le B2B est l’avenir des médias sociaux.

  1. « Vous êtes devenus des otages des médias sociaux » écrit Jessica dans le résumé de son étude

Elle enjoint ainsi les marques à tenir bon sur leurs valeurs et à ne pas hésiter à lever la voix lorsque les plates-formes des médias sociaux se comportent de manière inadéquate.

Un rapport criant de vérité, difficile à lire pour les marques

Le rapport de Jessica Liu est plein de vérité qui sont parfois difficiles à lire pour certaines marques, je le conçois aisément : elle fustige ces marques qui sont devenues des « party crashers » (des invités non désirés dans une fête).

Arrivées tardivement sur des plates-formes à l’origine conçues pour des consommateurs, des individus et des communautés, elles y ont fait résonner leurs gros sabots publicitaires sans même se préoccuper de savoir ce que ces audiences avaient envie de dire ni de faire, ni comment elles avaient envie d’interagir :

«Lorsque l’apport de trafic organique ne fonctionnait plus, les spécialistes du marketing se sont rabattus sur la publicité sociale, faisant passer les dépenses mondiales dans ce domaine de 75 milliards de dollars en 2018 à 165,6 milliards de dollars en 2023, selon les prévisions » précise l’analyste de Forrester. Comme le disait Andy Sernovitz: « la publicité est le prix à payer pour être ennuyeux » (« Advertising is the cost of being boring »). Pire encore, « elles n’ont aucune idée de ce que veulent les consommateurs sur les réseaux sociaux ».

En conclusion, vous pouvez quitter les réseaux sociaux sauf si…

En conclusion de ce rapport, à la question « les marketeurs doivent-ils quitter les médias sociaux » ? La réponse dépend forcément du contexte. Il existe des marques, elles sont rares, qui ont compris comment engager au corps à corps des discussions positives avec leurs clients et leurs prospects pour faire évoluer leurs services et leurs produits.

quitter médias sociaux

Comme je l’ai expliqué plus haut, tous les ans, je fais plancher environ 200 étudiants sur ces sujets qui sont à mon avis à la fois liés à l’origine du Web social et qui en sont aussi son avenir. L’alpha et l’oméga des médias sociaux sont le marketing du bouche-à-oreille, discipline bien connue aux États-Unis et grossièrement ignorée de ce côté-ci de l’Atlantique.

Panem et circenses : bloqués sur la publicité et les jeux concours

Je suis frappé ainsi, en faisant travailler mes étudiants, de voir à quel point ils sont souvent bloqués par les solutions qui sont censées répondre à leurs problèmes. Invités à regarder une marque et à proposer des choses innovantes, sans aucune contrainte, pour créer un lien avec leurs publics et leurs audiences, je les vois souvent caler en butant sur la publicité et les jeux concours.

Sans oublier les sempiternels « influenceurs » qui dans le domaine du B2C n’en sont souvent pas (je mets volontairement le B2B de côté, car dans les domaines professionnels il n’est pas possible de tricher sur la compétence).

Ne pas rejeter la publicité sociale, mais la mettre au bon endroit et au bon moment

quitter médias sociauxPourtant, je ne rejette pas la publicité sociale, même si je n’en suis pas fanatique. Il faut bien également que ces plates-formes que nous utilisons se financent ou alors il faudra apprendre à les payer, ce que nous ne sommes pas forcément prêts à faire, en tant que consommateurs.

Là où je suis plus critique, c’est sur l’usage de cette publicité au mauvais moment, pour générer du bruit et remplir l’angoisse de l’absence de feed-back, et non pour essayer de soutenir une idée, un concept ou un projet lié à un véritable objectif stratégique de l’entreprise.

À cette question de savoir s’il faut rester sur les médias sociaux, je vous propose donc de revenir aux fondamentaux, comme je l’ai expliqué dans mon article du livre publié chez Kawa juste avant le confinement « Web 2.0, 15 ans déjà et après » : Fixez un objectif proche de votre métier (améliorer un produit, corriger une perception, soigner votre service…) qui soit utile et oubliez les chamusants.

L’« engagement », forcément faible et difficilement à mesurer n’a aucune importance, car le travail dans les médias sociaux n’est pas un but en soi. Il faut se le dire une fois pour toutes pour les utiliser à bon escient.

Méthodologie de l’enquête de Forrester

L’enquête de référence Technographics® de Forrester Analytics Consumer, partie 1, 2020, a été menée de novembre 2019 à février 2020. Cette enquête en ligne a été réalisée auprès de 142 480 répondants aux États-Unis et de 13 708 répondants au Canada âgés de 18 à 88 ans, avec Indice de confiance de 95 % et des résultats d’une précision statistique de plus ou moins 0.3 %. Forrester a pondéré les données par âge, sexe, revenu, région et adoption du haut débit pour représenter de manière démographique les populations adultes en ligne américaine et canadienne. La taille de l’échantillon de l’enquête, une fois pondérée, était de 142 480 aux États-Unis et de 13 708 au Canada.

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »
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