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Innovation : le design thinking est avant tout affaire d’état d’esprit

Le design thinking, est affaire d’état d’esprit selon Emmanuel Brunet, que j’ai interviewé il y a quelques semaines, pendant le confinement et à distance. Dans cette vidéo explicative et très didactique, basée sur son livre « la boîte à outils du design thinking », Emmanuel revient sur les principes fondateurs du design thinking, sa méthodologie, et les trois outils qui lui semblent les plus importants. Une séance de rattrapage qui ne sera pas inutile pour nos innovateurs français, dont Emmanuel pense qu’ils sont largement à la traîne du reste de l’Europe et du monde.

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Le design thinking est avant tout une affaire d’état d’esprit – photo antimseum.com

Design thinking : avant tout une affaire d’état d’esprit

Interview d’Emmanuel Brunet, co-fondateur de l’Institut du design thinking

Visionary Marketing : Emmanuel, tu vas nous parler du design thinking, ce n’est pas une nouveauté n’est-ce pas ?

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le livre d’Emmanuel aux éditions Dunod

Emmanuel Brunet : En effet, le concept de design thinking date des années 90. Il a été conçu petit à petit dès les années 50, à partir des nouvelles techniques de brainstorming et d’intelligence collective.

Puis, c’est devenu une marque. Et puis, il s’est démocratisé, en dehors des États-Unis notamment. D’abord, il s’est répandu via Ideo, qui est une société inventrice de ce nom de « design thinking », qu’on connaît par son fameux « shopping cart » (caddie de supermarché).

J’utilise ça en formation pour expliquer les différentes phases du design thinking. Mais ce n’est qu’une toute petite partie de ce qu’est le design thinking.

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L’état d’esprit du deszign thinking c’est savoir se mettre à la place de l’utilisateur

Ce concept commence enfin, depuis quelques années, à arriver en France, avec du retard. En Angleterre, en Espagne, en Amérique latine, ça marche énormément. Là où il y a beaucoup d’idées, il y a aussi grand besoin de processus.

En France, on a beaucoup de retard. Les grosses entreprises l’ont mis en place, mais en fait seulement dans certains services, qui sont en général, les services Innovation.

J’ai donné une intervention à l’Université de Cali, en Colombie, cet été, et mes étudiants ingénieurs me disaient cela : « Nous avons plein d’idées, et nous sommes très axés sur l’innovation frugale dans notre culture, mais nous avons besoin de processus ».

VM Commençons par le début, l’état d’esprit particulier au design thinking.

En général, les gens disent : « Le design thinking, c’est une méthode, c’est un processus d’innovation pour lancer un produit, un service et un site Internet, une amélioration de l’expérience client ». C’est vrai, mais pour moi, c’est avant tout un état d’esprit.

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la grille d’objectif du design thinking, outil n°1 choisi par Emmanuel

C’est ça qui est intéressant. Vous pouvez connaître les 67 outils de mon bouquin. Et même les connaître par cœur. Si vous n’adoptez pas l’état d’esprit du design thinking, cela ne fonctionnera pas.

Il y a une « confiance créative » qui est extrêmement importante dans le design thinking et tout ce travail d’équipe et cette empathie que l’on va déployer auprès de nos cibles, futurs clients ou usagers.

Donc, vous pouvez créer de l’empathie avec vos propres collaborateurs, vos collègues. Et ça marche vraiment bien. Beaucoup d’entreprises ont mis cette méthode en place, que ce soit IBM, Google, ou même l’Armée.

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deuxième outil du design thinking sélectionné par Emmanuel Brunet, la carte d’empathie car l’empathie est véritablement le siège de l’état d’esprit du design thinking

De très grandes entreprises, mais de toutes petites aussi, qui se disent qu’elles ont besoin de créer de l’empathie auprès de leurs clients, car elles étaient un peu trop « data driven » et qu’elles avaient perdu de vue la réalité de leurs utilisateurs.

Un tableau Excel, c’est beau, ça produit de belles stats, mais en fait, mais ça ne génère pas beaucoup d’émotions.

La première phase consiste justement à rencontrer les utilisateurs. Et comprendre vraiment comment ils utilisent un produit ou comment utiliser un futur produit.

Comprendre leurs problématiques, par quelles émotions ils passent, entendre ce qu’ils ressentent.

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les 5 phases de la méthode du design thinking

VM Un de mes élèves m’a interpellé une fois lors d’un cours sur le design thinking en me disant que « c’étaient des méthodes de l’ancien temps et que Steve Jobs nous avait montré qu’on n’avait pas besoin de demander leur avis aux utilisateurs ». Qu’en penses-tu ?

Ce n’est pas complètement faux, mais ce n’est pas juste non plus. C’est-à-dire que l’on peut avoir une vision qui est celle de Steve Jobs. C’est très bien. Maintenant, à un moment donné, il faut quand même tester votre idée, votre vision auprès d’un certain public. Il ne faut pas se lancer sur le marché sans avoir testé quelque chose, parce que là, vous êtes presque certain de vous casser la figure.

Ce que Jobs a réussi surtout à faire, c’est de rendre simple des technologies compliquées, avec de jolies couleurs et de jolis écrans, etc. À mon avis, c’est surtout ce qu’il a apporté à l’informatique, avec également le time to market. Mais Apple teste également, ne serait-ce qu’en interne.

VM Au delà de l’état d’esprit, il y a également la méthode, avant d’arriver aux outils.

EB La méthode, c’est 5 phases extrêmement simples. La première phase, c’est l’empathie et l’immersion, comme son nom l’indique, c’est essayer de s’immerger au maximum dans le quotidien des utilisateurs ou futurs utilisateurs, pour comprendre leur utilisation, leurs problèmes.

1re phase de la méthode : empathie et immersion

EB J’ai formé énormément de sociétés individuelles, de collaborateurs et les apprenanst nous disent en fait, « dès qu’on rencontre les utilisateurs, on apprend des choses sur nous-même et sur notre produit. On avait l’impression de tout connaître, mais en fait, pas tant que ça ». Plus on va rencontrer de gens, plus on va leur faire tester de choses, plus ils vont nous apporter un vrai feed-back.

Et ce feed-back est vraiment intéressant parce que c’est du feed-back de terrain.

Les utilisateurs n’ont pas nos contraintes, ils sont donc capables d’imaginer des choses complètement différentes et beaucoup plus profondes et plus éloignées de ce que l’on arrive à imaginer soi-même.

2e phase : l’analyse

EB La deuxième phase, c’est la phase d’analyse. Dans cette étape, on va reprendre tout ce qu’on a appris lors de la phase de découverte avec les utilisateurs.

Puis, on va remplir ce qu’on appelle une grille d’objectifs ou une reformulation, qui va permettre de prioriser les verbatim et les nombreux témoignages recueillis lors de la première étape.

3e phase de la méthode : l’idéation

EB La troisième phase, c’est la partie dédiée à l’idéation, au brainstorming. C’est seulement à partir de ce moment là que l’on va pouvoir réellement se lancer dans un brainstorming.

La plupart des entreprises vous disent « Allez-y ! Réfléchissez ! Trouvez-nous une idée et on rentre directement en brainstorming ».

Mais si vous procédez ainsi, toutes les idées que vous allez donner seront vos idées et non celles des utilisateurs. Forcément, cela biaise énormément la créativité et le plan d’action qui va être engendré par ce brainstorm, avec le risque de tourner en rond.

Et surtout, il n’y a rien de pire que de faire un brainstorming avec des gens qui ont fait la même école, qui ont la même culture et qui, effectivement, ont le même quotidien, le même âge, etc. Plus on va avoir de personnes différentes, plus cela va générer d’idées différentes. C’est cela qui va faire que votre brainstorming vous apportera un maximum d’idées.

4e phase : prototypage et test

EB Ensuite, on va prioriser les résultats de ce brainstorming pour savoir quelles sont les (vraies) bonnes idées qui seront viables, activables et testables dans la quatrième phase qui s’appelle prototypage et test.

On va commencer par une solution extrêmement simple. Par exemple, vous êtes en train de concevoir un site Internet ou une appli. Eh bien, au lieu de commencer à développer l’appli en dur, on va juste la dessiner sur du papier.

On peut la prendre en photo, c’est extrêmement simple. Et on peut ainsi simuler un parcours que l’on va pouvoir faire tester rapidement. Sans dépenser un centime et très rapidement, on aura déjà des premiers feed backs de futurs utilisateurs.

Et plus on aura de feed back, plus on va pouvoir améliorer des choses et changer des boutons qui ne sont pas compréhensibles.

5e phase : l’« implémentation » (ou phase de mise en œuvre)

EB Et la dernière phase, nous mettons un point d’honneur à l’inclure systématiquement dans nos programmes, c’est la phase d’« implémentation » [mise en œuvre], c’est à dire celle du plan d’action.

Peu de formateurs proposent cette étape d’implémentation. En fait, c’est ce que j’appelle l’« effet plouf » à l’inverse de l’« effet waouh ».

Sans la prise en compte de cette phase, dès que la porte est fermée, que le formateur est parti, la super méthode fait « plouf ». Parce que l’on n’aura pas projeté les collaborateurs dans les futures semaines.

En outre, le design thinking, c’est aussi pouvoir faire des erreurs et les accepter. Beaucoup d’entreprises que nous rencontrons nous disent « OK pour l’innovation, mais il faudrait quand même ne pas trop se tromper » !

Si on met la pression sur les collaborateurs pour leur dire « Attention, attention ! L’innovation, c’est bien, mais uniquement sur le papier » forcément, tout le monde va se brider et très rapidement on aura des « Non ! Ce n’est pas possible parce qu’on a déjà essayé, mais pas comme ça, etc. »

La résultante, c’est qu’on n’arrivera pas à faire de véritable innovation et qu’on n’aura pas l’audace de tester de nouvelles choses, mêmes petites.

VM Après l’état d’esprit et la méthode, nous allons voir les outils. Pour ne pas lister les 67 outils de ta boîte à outil, pourrais-tu en choisir trois  ?

3 outils du design thinking : premièrement, la carte d’empathie.

La carte d’empathie est un grand classique du design thinking. C’est en fait une explication de ce que pense, ressent, imagine et entend chaque personne que l’on va interviewer. Plutôt que de faire un rapport écrit, on va utiliser la  » pensée design  » dans une matrice qui est vraiment très simple à utiliser pour matérialiser tout ce qui a été dit pendant le temps de l’interview.

Et comme ça, tout le groupe qui s’occupe du design thinking va, d’un seul coup d’œil, tout lire et tout comprendre, c’est cela la pensée design.

Le but est de vraiment simplifier les choses plutôt que de faire des rapports sur des pages et des pages.

3 outils du design thinking : deuxièmement, la grille d’objectifs

J’aime bien utiliser cette grille parce que c’est une grille en quatre sections : la première en haut à gauche, c’est une case expliquant ce que l’utilisateur a et souhaite. Des choses qui existent déjà on préservera l’existence, et on va se focaliser sur celles qu’il désire.

La deuxième case, c’est ce qu’il n’a pas et qu’il veut. Vous remplirez cette case à partir de tout ce que vous avez entendu pendant l’ensemble de vos interviews de toutes les personnes que vous avez rencontrées. Cette case sert à développer la solution.

La troisième case, c’est ce qu’il n’a pas à sa disposition dans la solution actuelle et qu’il désire. Il en a besoin parce que cela va répondre à sa problématique.

Et la dernière, c’est ce qu’il n’a pas et ne veut pas. Par exemple, des choses que les concurrents font, mais qui en fait n’intéressent pas l’utilisateur.

Quand on a rencontré plein de gens et que l’équipe de design thinking arrive à construire cette grille d’objectifs, cela simplifie énormément les priorités. Parce qu’au lieu d’avoir des pages et des pages de discours et de débriefs d’interviews, on peut, avec quatre ou cinq items dans chaque case, connaître les réelles priorités. Et ensuite, c’est le groupe qui fait le design thinking qui va voter pour ces priorités. Ça aussi, c’est la confiance créative. Ce n’est plus forcément le patron ou le grand directeur qui va dire « Faites ci, faites ça » ! Ce sont toutes les personnes impliquées dans le design thinking, si possible une équipe multidisciplinaire, qui vont proposer leurs propres priorités collectivement. Et cette manière de faire est un changement de méthode de travail important.

3 outils du design thinking, troisièmement, les personas.

On ne les utilise pas souvent les personas. En tout cas, pas assez, car ils changent énormément notre manière de penser à nos utilisateurs finals. Quand je travaillais pour le journal Métro, la directrice du journal nous disait toujours : « Pensez à Sarah » !

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Les personas, 3e outil du design thinking sélectionné par Emmanuel parmi les 67 de son bouquin

Sarah, c’était le profil type de la dame qui allait prendre le journal à la sortie du métro. Tout un persona était développé sur ses habitudes, son âge, ses enfants, etc.

Et à chaque fois qu’on avait un doute sur quelque chose, elle nous disait de penser à elle. Toutes les équipes, que ce soit les commerciaux, le marketing, la rédaction, on savait qui était Sarah.

Pour nous, c’était extrêmement clair. De se dire qu’elle aimerait telle chose. Et si vous avez plusieurs « Sarah », c’est à dire plusieurs noms de cibles d’hommes, de femmes, de jeunes et de moins jeunes, etc. Quand vous dites en réunion si vous donnez un nom masculin à la personne à qui vous pensez, cela change tout.

Il y a plus de discussion possible sur qui est Edgar et qui fait quoi ? Tout devient beaucoup plus personnel. Et cela fait avancer les discussions à une vitesse folle.

VM Quel est l’avenir, selon toi, du design thinking ?

Les grandes sociétés commencent à s’y mettre depuis quelques années, mais il faut encore retravailler ce fameux état d’esprit. Beaucoup de sociétés vous disent qu’elles en font, mais en fait, quand on gratte un peu, ça n’en a que le nom.

Beaucoup de sociétés disent qu’elles font du design thinking, mais quand on gratte, ça n’en a que le nom

En France, on a beaucoup de retard. Les grosses entreprises l’ont mis en place, mais en fait seulement dans certains services, qui sont en général, les services Innovation.  À l’Institut du design thinking, ce que l’on essaie de démontrer, c’est que ce processus est applicable à beaucoup de choses, ne serait-ce que pour résoudre des problèmes de processus internes.

Je pense que les entreprises ont bien compris le design thinking pour l’externe, mais il y a encore du travail en interne pour que cette méthode soit aussi applicable à nous-mêmes aussi bien que pour nos utilisateurs.

Dans d’autres pays, le développement du design thinking est plus rapide. C’est-à-dire qu’il y a une vraie demande. À l’étranger, tout de suite on nous demande des formations, des conférences, séminaires ou ateliers particuliers. Les clients connaissent déjà les termes, alors qu’en France, cela nécessite une phase d’explication qui est beaucoup plus longue.

Il y a deux vitesses entre l’Europe et la France. Mais cela ouvre plein de perspectives et nous laisse une grosse marge de progression.

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »

3 commentaires

  1. Merci Yann pour cette interview très intéressante.
    Finalement, le processus du Design Thinking est très proche de ce que fait naturellement un artisan passionné qui crée des produits.
    Au fil du temps, nos modes d’organisation se sont tellement spécialisés et segmentés, qu’on a perdu cet état d’esprit. Ce processus nous réapprend comment faire pas à pas en utilisant aussi bien notre tête que nos mains.
    À bientôt,
    Laurent

    1. Absolument Laurent, la pensée design est une affaire d’état d’esprit, comme l’explique Emmanuel, mais aussi de bon sens. Et le bon sens gagne à être retrouvé.

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