Marketing & Innovation

La publicité éthique est-elle le futur de la publicité ?

Publicité éthique : ça vous parle ? Je suis tombé en arrêt sur un communiqué de presse d’une société d’Adtech anglaise IOTEC [qui se nomme elle-même une plateforme d’achat médias éthique] et je n’en ai pas cru mes yeux. Il est rare que je jette mon dévolu sur les CP mais celui-là était très original et inattendu, et le timing me semble très bien choisi. Cette annonce de IOTEC prônait l’usage de la publicité éthique en délivrant des conseils que j’ai repris ci-dessous en citations, en les simplifiant : cesser le ciblage psychologique, éviter les pop-up et les publicités intrusives, vérifier l’affichage des annonces. Pour réaliser cet article, j’ai donc mené une enquête afin de découvrir la vérité à propos de la publicité et de l’émergence du besoin de transparence dans ce domaine.

« La confiance en la publicité n’a jamais été aussi faible » – vrai ou faux ?

Les raisons invoquées par Iotec sont que « la confiance dans la publicité [n’a] jamais été aussi faible« . Je ne suis pas un grand fan de la publicité même si je n’irai pas comme Doc Searls à la qualifier de « cancer de l’Internet« . Il est vrai que je suis plutôt d’avis que le marketing du bouche à oreille est l’avenir — autant qu’il en a été à l’origine — du marketing et que ce sont les médias sociaux qui ont donné ses lettres de noblesse à cette discipline.

publicité et publicité éthique : pas si vite ...
Faut-il jeter la publicité classique et passer à la publicité éthique : pas si vite … prenons le temps de regarder les chiffres

Mais le fait que je [ou Iotec] sois convaincu par la justesse d’une idée, ou son caractère moral et respectueux, ne signifie pas qu’elle soit vraie. Et quand bien même, on pourrait tout à fait imaginer que les consommateurs — qui n’en sont pas à une contradiction près —  pensent une chose et fassent son contraire. Ou encore il se pourraient qu’ils détestent la publicité mais qu’ils soient néanmoins influencés par elle.

Ou bien encore, si l’on veut nuancer, qu’ils aiment certaines publicité et qu’ils trouvent celles-ci dignes de « confiance », mais que d’autres publicités qu’ils aiment moins, ne recueillent pas leurs suffrages. Peut-être aussi que les marketeurs, tout à leurs nombrils, voient la nécessité d’attribuer une valeur morale à leurs publicités (« confiance » est un terme assez fort).

Une démarche de publicité éthique réclamée par les consommateurs ?

Par exemple je peux être complètement conscient du caractère manipulateur — voire mensonger — d’une publicité pour un ordinateur qui clamerait haut et fort (avec une pomme par exemple) qu’il est plus puissant que les autres (avec un autre logo et un autre OS) alors que cela est totalement faux quand on compare les chiffres. Et pourtant me laisser convaincre par la publicité pour d’autres raisons (esthétique, statut offert par le produit à un prix premium, qualité de la construction, possibilité de revente, …).

Après tout, il se peut très bien que le consommateur, de plus en plus éduqué, sache parfaitement décoder la manipulation dont il est l’objet au travers de la publicité et qu’il se prête à l’exercice, néanmoins, par jeu ou par plaisir. Et qu’il n’aie que faire de la « confiance », se sachant ainsi manipulé et étant lui-même consentant.

Enfin, s’il est avéré que la publicité est victime de désamour, et que l’appétance pour une publicité éthique pourrait tout à fait se justifier et que tout cela soit parfaitement logique, ces faits sont-ils suffisants pour que les annonceurs passent à l’acte et que les consommateurs eux-mêmes réclament ces changements?

Dernière question et non des moindres, les affaires récentes sur les vols de données et les conduites plus ou moins scandaleuses, selon les interprétations, de certains acteurs du Web et du commerce, sera-t-elle un élément déclencheur d’un changement ?

Prenons-donc un peu de temps pour réfléchir à ces points, poser des questions de fond et tenter d’apporter des réponses basées sur des faits, des chiffres et des études.

La publicité éthique à l’épreuve des faits et des chiffres

J’ai donc voulu vérifier par les faits la perception de la publicité par le public et l’appétence de celui-ci pour la publicité éthique, si tant est qu’elle existe (pour cela je vous renvoie au communiqué d’Iotec repris ci-dessous). Je me suis donc posé un certain nombre de questions :

  1. Premièrement, y-a-t-il une perte de confiance dans la publicité et qu’est-ce que cela veut dire ? et est-ce nouveau ? et cela est-il vrai dans tous les pays ?
  2. Deuxièmement, les annonceurs sont-ils conscients de ce problème — s’il existe — et qu’ont-ils prévu de faire pour y remédier ?

Enfin, je reviendrai sur les principes de base de la publicité éthique, en reprenant le communiqué de presse de Iotec.

Point 1: La défiance envers la publicité est-elle réelle ou non ?

La France plus sceptique que la moyenne

En France, les consommateurs sont toujours plus défiants : les scores français sont en-dessous de la moyenne mondiale sur tous les types de publicité.

« Par rapport à 2013, la confiance des consommateurs a baissé sur les recommandations des proches et les avis d’autres consommateurs online. Les medias abordent régulièrement ces sujets, tels que les pratiques frauduleuses (une émission grand public a récemment fait le buzz en créant un restaurant fictif et de faux avis) ; ce qui qui renforce sans doute le scepticisme bien connu des Français. A l’inverse, les autres formats sont plutôt en progression, que ce soit sur des supports traditionnels (télévision, radio, presse) ou des supports numériques (bannières, réseaux sociaux) »

commente Anne-Valérie Nierlich, experte média chez Nielsen France.

publicité éthique : un nécessaire retour à la raison ?

Un peu ambigu pourrait-on dire et à contre-courant de ce qu’on entend répété partout (les bannières ça ne marche pas, la pub à la TV c’est fini …). Bon ! c’était en 2015 et depuis, nous avons eu droit au fameux rapport de Forrester sur « la fin de la publicité telle que nous la connaissions » alors y-a-t-il eu d’autres études qui pourraient nous éclairer en dehors de ce vieux rapport Nielsen ?

Une étude de 2017 montre le désir de transparence des consommateurs

Kent Grayson - publicité éthique La réponse est oui. Une étude a été menée par deux professeurs, Kent Grayson (à droite) de la Northwestern University et Matthew Isaac de l’université de Seattle University qui montrerait que les consommateurs auraient plus confiance dans la publicité que ce que l’on pourrait croire. Cette étude a été relayée par Social Media Week.

En substance, l’étude et l’analyse de social media week montrent que les consommateurs (interviewés on y reviendra) sont moins défiants vis à vis de la publicité qu’on pourrait le croire. Ou plutôt certaines formes de publicité. Mais ils sont surtout plus éduqués que par le passé et ils ne s’en laissent pas compter.

« En dépit de tous les efforts déployés par les marketeurs pour masquer leurs publicités en autre chose que de la publicité, peut-être que la plus grande chance qui s’offrent à eux est de faire face à la réalité du terrain et de créer des expériences publicitaires de valeur et directes bâties sur une promesse de transparence totale »
[source : Social media Week]
Un point pour la publicité éthique. Dit autrement, ce n’est pas tant que la confiance dans la publicité s’est érodée que le fait que certaines tactiques perçues comme plus justes et directes par les consommateurs font que la publicité transparente (et donc la publicité éthique) est non seulement pertinente mais aussi et surtout plus efficace.

Une nuance, qu’est-ce que la publicité ?

Oui mais qu’entend-on par publicité ? Il semblerait que l’acception soit très large et les interprétations nombreuses

« Certaines tactiques, comme celle consistant à offrir un alignement sur le prix les plus bas, afficher une évaluation positive sur un site comme Amazon ou Yelp ou figurer dans le classement récent d’une source indépendante à l’instar du rapport américain News & World, ont recueilli le plus d’avis favorables de la part des répondants. D’autres comme celles qui consistent à payer des acteurs en lieu et place de vértiables gens, ou de recourir aux services de leaders d’opinion célèbres qui expriment leur affinité pour un produit sont perçues comme « trompeuses » ou « manipulatrices » selon les personnes interrogées. »
[source : Social media Week]

En conclusion, la réponse à ma question est « ni oui, ni non ». Il serait faux, si l’on en croit ces études et ces chiffres, de dire que la publicité dans son ensemble est rejetée par la population. Il faudrait au contraire nuancer en spécifiant que les tactiques manipulatrices du marketing, ou plutôt celles qui sont perçues comme telles par les consommateurs, déclenchent leur méfiance. La bonne vieille tactique du leader d’opinion serait notamment pointée du doigt. En cela, la publicité éthique a toutes ses chances, elle est un vecteur d’avenir car elle correspond à une véritable demande – a priori – du marché .

Un insight à nuancer en fonction de la méthodologie d’enquête et les pays

Voilà des insights intéressants, mais à tempérer cependant en fonction de la méthodologie d’enquête retenue par les deux universitaires. Le sondage est en effet très américano centré et d’autre part, ne concerne que 400 répondants (soit une marge d’erreur de 5% acceptable pour les US mais limite. Ceci, à condition bien entendu que l’échantillon soit représentatif)

Les chercheurs ont sondé 400 personnes et leur ont demandé de donner leur opinion quant à un certain nombre de tactiques employées en publicité TV et en publicité digitale. Les répondants se sont montrés favorables à 13 des 20 tactiques étudiées [NDLR : on peut se poser la question de savoir si ces 20 tactiques couvrent bien le spectre, mais aussi quel est le niveau de compréhension des consommateurs ayant exprimé leur opinion quant à la mécanique de ces tactiques].
[Source: Social Media Week].

Voici la réponse à notre première question. Quid de la deuxième ? Les annonceurs ont-ils changé leurs habitudes ?

Point 2: Les annonceurs sont-ils conscients du problème et quelles ont été leurs actions ?

La première chose à dire c’est que certaines réactions sont marquantes et ont fait leur effet. Et notamment celle de P&G en 2017 avec une coupe de 140 million de dollars dans ses investissements publicitaires en ligne. Logique que cela soit marquant car les lessiviers, et P&G en tête, ont toujours été les fers de lance de la publicité et les premiers à lancer la mode il y a maintenant plus d’un demi-siècle. Pire encore pour la communauté marketing, les rapports ont fleuri pour expliquer que l »impact de cette mesure avait été nul.

Mais c’est faire peu de cas des études de Byron Sharp sur la publicité qui montre que l’impact d’une coupe budgétaire sur la publicité ne se mesure que 3 ans après l’interruption de l’investissement, quelle que soit la marque.

D’autre part, que représentent 140 millions de dollars pour P&G en termes de budget publicitaire ? 2% du total, ce qui n’est pas négligeable. Mais la baisse du budget publicitaire total de l’entreprise entre 2013, année la plus importante de la période étudiée, et l’année dernière est de 1,070 milliards de dollars soit 13% de ce pic de dépense. Cela pourrait signifier un désengagement de la publicité par P&G ou le reflet de ses résultats.

Budgets publicitaires de P&G dans le monde entre 2011 à 2018. Souce Statista [nb : contenu premium]
Et bingo ! Quand on se penche sur les ventes du géant américain, on trouve bien une courbe en corrélation avec la courbe des budgets pub. Ceci permet sans doute – sans toutefois aller plus loin ni étudier les relations de cause à effet au-delà de ces corrélations – de mettre un peu de nuances dans les jugements sur la publicité. Impossible de tout comparer sans y passer des heures mais un bref regard aux dépenses de Nestlé en 2015-2016 dans la pub montre au contraire un passage de 4,2 milliards à 9,2 milliards de dollars (dans le monde).

La publicité éthique pour soigner la publicité

En conclusion de cette petite étude sans prétention, on peut maintenant regarder ce que Iotec nous dit sur la publicité éthique et qui semble en effet correspondre à une demande. La publicité n’est pas ce monstre à abattre qu’on nous dépeint si souvent, mais c’est certainement une bête malade à qui un peu d’éthique ferait du bien.

Les conseils de iotec au secteur Adtech

extrait du CP d’IOTEC de juillet 2018

« Stop au ciblage psychologique

Le ciblage publicitaire devrait toujours être large et jamais à un niveau personnel à moins d’un consentement explicite. Beaucoup de tactiques de ciblage existent, mais l’une des plus inconfortables est le ciblage psychologique. En suivant les résultats et en regardant les audiences à une échelle de masse, il est possible de déterminer la manière de personnaliser le contenu pour chaque consommateur.

Les marques doivent penser aux consommateurs en optant pour des stratégies éthiques et en se concentrant pour proposer la meilleure expérience client. Que penser d’un magasin qui suivrait un visiteur pendant 30 jours après son passage dans la boutique, pour essayer de lui vendre le produit ? La clé est de créer une bonne expérience client et un sentiment positif et de confiance dans votre marque.

Éviter les pop-ups et les fenêtres publicitaires intrusives

Les pop-ups et les fenêtres publicitaires intrusives ne devraient en aucun cas être autorisés. Certains éditeurs n’hésitent pourtant pas y avoir recours alors qu’un sondage réalisé par Odoxa révélait que les fenêtres pop-up suscitent l’agacement de 9 Français sur 10.

Il faut dénoncer les mauvaises pratiques pour espérer voir des changements réels et rétablir la confiance des consommateurs.

La plupart des consommateurs ne comprennent pas la manière dont ils sont ciblés et donc ils se tournent de plus en plus vers les bloqueurs de publicité pour empêcher toute publicité, quelle qu’elle soit. Le récent scandale, dans lequel Facebook a été impliqué avec Cambridge Analytica, prouve le mépris manifesté à l’égard des données personnelles des consommateurs, qui commencent à découvrir le manque de transparence qu’ils ont sur la façon dont leurs données sont utilisées.

Pas étonnant que la confiance dans la publicité n’ait jamais été aussi faible, il est temps de faire quelque chose pour que cette perception change.

Vérifier l’affichage des annonces

Des solutions existent, en temps réel, pour rendre compte de la qualité du contenu à côté duquel une annonce apparaît. Les plateformes d’achat publicitaire proposent leurs propres filtres bloquants, par défaut, tout  » contenu à problème connu « , et certaines d’entre elles ajoutent des filtres fournis par des tiers.

Les marques peuvent également indiquer la liste des sites auxquels elles veulent bien être associées et exiger la transparence des placements de leurs partenaires.

La Blockchain pourrait être, à l’avenir, une solution performante pour offrir aux marques une transparence totale sur leurs transactions d’achat de médias programmatiques. Mais pour l’heure cette technologie n’est tout simplement pas prête. Il existe aujourd’hui des solutions évolutives et prêtes à être commercialisées. Tout ce dont les marques ont besoin, c’est d’avoir accès aux données entourant leurs achats médias et d’un endroit où les stocker.

Tous les acteurs clés du secteur écrivent ou exploitent les données qu’ils peuvent demander à leurs fournisseurs. Si ce dernier est fiable, il devrait être en mesure de les fournir.

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »
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