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Marketing de la grenouille – le consommateur enfant de la crise

le marketing de la grenouilleLe mariage entre sociologie et marketing est le résultat d’une longue lignée. On trouve une des premières traces de ce phénomène dans la Bible du comportement du consommateur de Pras et Tarondeau, certes un peu datée (1981). À la suite de la publication le temps des tribus par Michel Maffesoli, on trouve aussi le livre qui a servi d’inspiration à Olivier Badot et Bernard Cova pour leur fameux ouvrage le néo marketing (pour les familiers de ce blog, il s’agit du livre fondateur qui a inspiré notre première publication : le marketing finalitaire alias Visionary Marketing). Quand on parle sociologie et marketing, on pense cependant et avant tout aux fameux sociostyles de Bernard Cathelat qui sont encore plus anciens (1972). Voici le digne héritier de cette lignée, le marketing de la grenouille par Valérie et Philippe Jourdan et Jean-Claude Pacitto, aux éditions Kawa.

Le marketing de la grenouille, vision dynamique du « conso-battant »

Le marketing de la grenouille est probablement l’héritier de ces sociostyles. Comme l’explique Philippe Jourdan dans cette interview réalisée en nos locaux il y a quelques jours, cet ouvrage va au-delà et corrige certains manques de l’approche de Cathelat, en lui donnant une vision plus dynamique, plus moderne et surtout plus liée au monde aujourd’hui, avec l’impact très fort du digital, aux deux bouts du spectre (côté consommateur et côté marque).

Le marketing de la grenouille ?

le marketing de la grenouille
La crise a fait émerger un nouveau type de consommateur, appelé le conso-battant, qui se sert du digital pour apporter un équilibre dans le rapport de force marque / consommateur.

Mais qu’est-ce que le marketing de la grenouille ? Un marketing pour les Français ? Oui sans doute, cette tradition sociologique du marketing est-elle très française et originale dans le paysage internationale. Mais pas seulement. Il y a plusieurs niveaux de lecture du marketing de la grenouille, celui de ce consommateur un peu gluant et insaisissable qui change qui évolue (voir même qui passe d’un segment à un autre un peu comme une grenouille dont la peau changerait de couleur au fil des saisons), mais il s’agit aussi un marketing de l’agilité, car en cette période de transformation digitale, les entreprises figées dans leur approche consommateurs se doivent d’évoluer et de s’adapter au monde qui change.

Voici maintenant la transcription simplifiée de notre interview de Philippe Jourdan :

L’évolution du contexte économique et le digital ont donné lieu à un nouveau type de consommateur, que vous appelez le conso-battant.

Effectivement. Il s’agit d’une façon d’affirmer deux choses importantes :

  • L’évolution du comportement du consommateur : celle-ci n’est pas d’ordre purement conjoncturelle. Certes, la crise a accéléré un certain nombre de tendances, mais la cause profonde n’est pas la crise. Un retour à la croissance ne signifiera donc pas un retour en arrière.
  • L’impact du digital explique à la fois l’accélération, le renforcement de ces évolutions et leur installation dans la durée.
le marketing de la grenouille - Philippe Jourdan
Philippe Jourdan lors de notre interview sur le marketing de la grenouille

Les marques n’ont pas véritablement compris ce changement de paradigme.

Je pense qu’elles le perçoivent très bien. L’information circule sur les bouleversements apportés par le digital, sur les profils de conso-battants, qui ont une relation plus critique envers les marques, et qui ont également le réflexe de comparer, négocier, participer, acheter en connaissance de cause.

En revanche, les marques ont des difficultés d’ordre organisationnel : comment faire évoluer les organisations pour prendre en compte ces changements rapides ? Les difficultés se trouvent également dans les outils existants : la planification marketing utilise la segmentation, le positionnement, l’information qualifiante, sur des cycles qui ne sont, eux aussi, pas toujours adaptés à la rapidité des changements.

Cela donne lieu à 5 profils :

  • Le récessionniste : Pour aborder ce profil, il est nécessaire de resituer les choses dans leur contexte. La France qui compte un grand nombre de pauvres (NDLR : En 2013, selon l’Insee, 8,6 millions de personnes en France vivaient sous le seuil de pauvreté, à 60% du niveau de vie médian). Ces personnes sont économiquement contraintes, et le marketing doit aussi s’adresser à eux, pas uniquement au travers de petits prix, en pointant du doigt leur pauvreté. Il y a aussi une manière de s’adresser à ces personnes, non pas en valorisant ce statut d’économiquement contraint, mais en le prenant comme une donnée et en faisant en sorte de préserver leur vouloir d’achat ;
  • Le négociateur : Le français n’est pas traditionnellement dans une culture de la vente et de la négociation. On s’aperçoit que d’années en années se développe une frange de négociateurs qui négocie de plus en plus souvent, là où l’on n’avait pas l’habitude de pratiquer cela. Il s’habitue ainsi à l’idée que tout peut se négocier. Il me semble que cela participe à une révolution face à laquelle les vendeurs ne sont pas toujours bien préparés ;
  • Le vigile : C’est le digital native de la consommation. Ce terme transposé à la consommation a suscité bien des questions. Est-ce que la technologie transforme la société ? Est-ce la société qui transforme la technologie ? Ce qui nous intéresse plus particulièrement c’est la façon dont les outils digitaux ont transformé le rapport aux marques et accru l’envie de comparer, de s’informer, d’acheter en connaissance de cause. Cela fait naître des comportements parfois opportunistes, où l’utilisateur va se passer d’acheter si la marque ne satisfait pas correctement tous ses désirs ;
  • Le touche-à-tout : Ce profil est intéressant à plus d’un titre. Il est tout d’abord égotique : le touche-à-tout a une vie sociale sur internet où il aime parler de ses expériences. Les marques doivent surveiller ces touche-à-tout car ils vont contribuer à sa réputation, de manière positive ou non. Ces gens ont également la volonté de maintenir un vouloir d’achat important, qui se traduit par beaucoup de temps passé à comparer, à solliciter les marques, à négocier les offres, à travailler sur les bons plans… Cette population est nombreuse, pas nécessairement jeune, et pose problème aux marketeurs car on ne peut pas vraiment les « mettre dans une case » ;
  • Le minimaliste : c’est parfois un non-consommateur ou quelqu’un qui ambitionne de consommer différemment. Il n’est pas nécessairement économiquement contraint, sinon il serait un recessionniste ; il fait de la réduction de ses achats une position idéologique. Il peut être attiré par certaines marques qui ont parfaitement compris l’offre qu’elles pouvaient lui adresser.

Pour tous ces profils, on pourrait établir une filiation avec les sociostyles…

Une partie de cette démarche s’inspire des sociostyles et reprend un enseignement important, qui est de ne pas se fier uniquement aux caractéristiques sociodémographiques pour établir des groupes de consommateurs. Ce qui les qualifient sont leurs attitudes, opinions et comportements.

Je pense que les consommateurs, selon les circonstances et l’opportunité qui se présente, vont changer de comportementet vont être touche-à-tout dans certains cas, vigiles dans d’autres, minimalistes parfois, etc. Il va falloir s’habituer à multiplier les points de contact, les angles d’observation et à l’idée que ce consommateur change régulièrement de profil. Les sociostyles avaient un caractère stable, les profils que nous présentons dans ce livre sont plus compliqués à saisir.

Le digital a pris une importance fondamentale, aussi bien du côté des marques que de celui du consommateur

Le digital donne accès à une information qui permet de devenir expert, de comparer, de choisir. Le consommateur revendique aujourd’hui une information transparente, objective et partagée, car il est sur un pied d’égalité avec les marques et les distributeurs. On voit ainsi naître aujourd’hui d’autres formes de distribution, d’autres modèles économiques, des organisations en réseau, collaboratives, etc. Les marques sont donc impactées à tous les niveaux.

D’où est venue l’idée d’écrire ce livre ?

Je n’ai pas eu l’idée de ce livre spontanément. Cela fait 20 ans que nous publions régulièrement des baromètres sur les changements d’attitude, de comportement, d’opinion des consommateurs, vis-à-vis des distributeurs et des marketeurs. On constate en premier lieu que les choses se sont accélérées. D’autre part, les marques n’ont pas toujours pris en compte les changements qui ont eu lieu, et nous avons jugé qu’il était temps d’écrire cet ouvrage pour marteler ces deux points.

Pourquoi avoir choisi comme nom du livre « Le marketing de la grenouille » ?

Je ne vais pas le dire maintenant, il faut attendre la dernière page de l’ouvrage pour le savoir… Il est néanmoins intéressant de voir que cet animal a une vraie capacité d’adaptation, lorsqu’il perçoit un changement rapide d’environnement. Par contre, lorsqu’il se trompe dans sa perception du changement, il en vient à mourir. Ce que l’on conseille aux marques et aux enseignes, c’est de faire attention à ne pas être victimes du syndrome de la grenouille : l’environnement change très vite, et il est nécessaire de prendre en compte toutes ces évolutions.

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »
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