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Bureau ouvert : quand son créateur pense aussi que c’est une erreur

Le bureau ouvert (Open plan en anglais, qu’on appelle Open space en français) est-il une mauvaise idée ? Peuplé de petites cases ou « cubes »  (raccourci pour « cubicles »), il est souvent décrié en France. Mais même son créateur semble regretter de l’avoir pensé. Les millions de gens dans dans le monde ont trouvé une forme de consolation en lisant les aventures de Dilbert, le personnage de Scott Adams, vont se réjouir. Dans un article de Fortune dédié au bureau ouvert l’auteur affirme que l’inventeur du bureau ouvert (Robert Propst) avait fini par penser que son invention était une erreur.

Bureau ouvert
Le bureau ouvert : cette grande erreur

Tout au moins n’était il pas prévu qu’elle soit détournée dans le but de mettre le maximum de gens dans un minimum d’espace. Propst a dirigé pendant de nombreuses années le département recherche du fabricant de bureaux Herman Miller.

Au passage, je n’ai pu résister au plaisir de remontrer la caricature de ces bureaux ouverts que Jacques Tati a faite dans son film de 1967 intitulé « Playtime ». Monsieur Hulot, ne peut-il donc être considéré comme le digne prédécesseur de Dilbert ?

bureau ouvert
Le bureau ouvert découvert par M. Hulot. Notons que Tati avait fait construire de zéro ces bâtiments énormes sur un esapce appelé « Tativille » et qui se trouvait à Nogent sur Marne, là où on trouve aujourd’hui … l’Autoroute A4. Tati en a fait faillite et a même perdu les droits sur ses anciens films.

Voici une traduction libre de cet article  « Pris au piège dans des bureaux ouverts »

Note : ici nous avons traduit “cubicle” ou “cube » par “bureau ouvert”

Robert Oppenheimer s’est lamenté d’avoir construit la bombe A. Alfred Nobel a regretté d’avoir créé la dynamite. Robert Propst n’a rien inventé de si destructeur. Pourtant, avant de mourir en 2000, il a déploré sa contribution involontaire à ce qu’il a appelé la « folie monolithique ».

Propst est le père du bureau ouvert. Plus de 30 ans après qu’il l’ait largué sur le monde, nous essayons toujours de sortir de la boîte. Le bureau ouvert a reçu de nombreux noms au cours de son long et terrible règne. Mais ce qui lui a manqué en beauté et en commodité, il l’a compensé par une persistance semblable à celle du chiendent.

De l’espace de travail futuriste à la boîte : une gallerie photos

Honni des employés , diabolisé par les designers, renié par son créateur même, il continue de revendiquer la plus grande part des ventes de mobilier de bureau – environ 3 milliards de dollars par an – et a survécu à tous les « bureaux du futur » destinés à le remplacer. C’est le Fidel Castro du mobilier de bureau.

Le bureau ouvert fera-t-il toujours partie de notre paysage  ? Probablement oui, bien que ces dernières années, des individus et des organisations ont enfin commencé à définir des moyens efficaces et économiques pour échapper à sa tyrannie.

Le bureau ouvert n’est pas d’une mauvais intension, ni sa forme été toujours carrée. En fait, elle a commencé par une vision du futur. C’était en 1968. L’année où Nixon a gagné la course à la présidence. Les Beatles sortaient The White Album. Et l’entreprise d’ameublement Herman Miller (Recherche) de Zeeland, Michigan, lançait le « Bureau d’action ». C’était l’idée de Bob Propst, un habitant du Colorado qui avait rejoint la société en tant que directeur de la recherche.

Après des années de prototypage et d’étude des modes de travail des employés, et après s’être juré d’améliorer les espaces de travail ouverts qui avaient dominé une grande partie du XXe siècle, M. Propst a conçu un système qu’il pensait susceptible d’accroître la productivité (d’où le nom de « Bureau d’Action »). Le jeune designer, qui a également travaillé sur des projets aussi variés que les pompes cardiaques et les débiteuses d’arbres, a émis la théorie que la productivité augmenterait si les gens pouvaient voir une plus grande partie de leur travail étalée devant eux, et non pas simplement empilée dans une corbeille de réception du courrier.

Le nouveau système comprenait de nombreuses surfaces de travail et des étagères de rangement ; on lui ajoutait des cloisons, destinées à préserver l’intimité et des endroits pour accrocher les travaux en cours. Le Bureau d’action  prévoyait meêm des plans de travail à niveaux variables pour permettre aux employés de travailler une partie du temps debout, ce qui favorise la circulation sanguine et évite l’épuisement.

Mais les inventions suivent rarement l’intention du créateur. « Le Bureau d’action n’a pas été conçu pour entasser beaucoup de gens dans un espace restreint », explique Joe Schwartz, l’ancien chef du marketing d’Herman Miller, qui a contribué au lancement du système en 1968. « C’est la logique économique qui l’a poussé dans cette direction.

Cette logique était la seule chose que Propst n’avait pas prise en compte. Mais c’est aussi ce qui a déclenché le succès foudroyant du bureau ouvert. À l’époque où le Bureau d’action est né, un type sans cesse plus nombreux de cols blancs, de la secrétaire au patron, venait peupler les listes des employés des entreprises. De plus, les prix de l’immobilier augmentaient, tout comme le coût du réaménagement des immeubles de bureaux, ce qui faisait que le bureau physique pesait lourdement sur le budget de l’entreprise. Les bureaux ouverts (« cubicles »), ou « meubles de bureaux fonctionnels », comme on les appelle par euphémisme, offraient une alternative moins coûteuse pour refondre le plan des bureaux.

Un autre facteur critique dans la rapide ascension du bureau ouvert était l’oncle Sam. Au cours des années 1960, pour stimuler les dépenses des entreprises, le Trésor a créé de nouvelles règles d’amortissement des actifs. Les changements ont spécifié des fourchettes d’amortissement plus claires et ont établi une durée de vie plus courte pour le mobilier et l’équipement, par rapport aux fourchettes plus longues attribuées aux bâtiments ou aux améliorations locatives.

(Aujourd’hui, les entreprises peuvent amortir le mobilier de bureau sur sept ans, alors que les structures permanentes – c’est-à-dire les bureaux avec cloisons fixes – se voient attribuer un taux de 39,5 ans).

Le résultat est qu’une entreprise pourrait rentrer dans ses coûts plus rapidement si elle optait pour des bureaux ouverts. Lorsque des clients ont fait part à Herman Miller de ce bénéfice client inattendu, celui-ci est devenu un nouvel argument de vente pour le Bureau d’action. Après seulement deux ans sur le marché, les ventes ont explosé. Les concurrents ont compté les points.

C’est alors que la vision originale de Propst a commencé à s’effilocher. « Ils ont continué à réduire le Bureau d’action jusqu’à ce qu’il devienne une « boîte », explique Schwartz, aujourd’hui âgé de 80 ans. Lorsque Steelcase, Knoll et Haworth ont lancé leurs versions sur le marché, ils ont compris que les entreprises n’avaient que faire de fournir à leurs employés une expérience de travail globale. Les clients cherchaient simplement un moyen bon marché d’entasser les employés.

Les postes de travail de Propst ont été conçus pour être flexibles, mais en pratique, ils ont rarement été modifiés ou déplacés. Alignés en rangées identiques, ils sont devenus le monde dystopique que trois universitaires ont décrit comme de « bureaux intelligents fabriqués en enfer » dans un livre de 1998, Workplaces of the Future.

Le designer Douglas Ball, par exemple, se souvient de la première installation de bureaux ouverts qu’il a réalisée pour une entreprise canadienne en 1972. « Je pensais que je serais enthousiaste, mais j’en suis sorti déprimé », dit Ball, qui a maintenant 70 ans. « C’était Dilbertville. Je n’arrivais pas à imaginer à quoi cela ressemblerait avec la multiplication de ces espaces de travail ».

Ayant pris le contrôle du monde, la « boîte » a fait échouer plusieurs tentatives de remplacement. L’un des assauts les plus ambitieux a eu lieu en 1993, lorsque Jay Chiat, président de l’agence de publicité Chiat/Day, a déclaré une sorte de révolution bolchevique en installant ses employés dans des locaux récemment rénovés à Venice, en Californie. Le design « était celui des « lounges », comme chez Starbucks », se souvient Stevan Alburty, alors directeur de la technologie. « Il était en avance de 20 ans sur son temps. »

Mais il avait une erreur fatale : personne n’avait plus de lieu de travail fixe. Les employés devaient parquer leurs affaires dans des casiers et percevoir des ordinateurs portables chaque matin comme s’ils louaient un film chez Blockbuster. Cela a rapidement déclenché une contre-rébellion : de nombreux employés ont tout simplement cessé de venir au bureau, préférant travailler à la maison. Après le rachat de l’entreprise par un grand groupe publicitaire, les employés ont à nouveau obtenu des espaces de travail.

Depuis lors, les concepteurs se sont surtout contentés d’essayer de compenser les défauts les plus flagrants du bureau ouvert. Une offre récente de Steelcase, le Personal Harbor, peut être équipée de son propre système d’éclairage, ventilateur, porte et fenêtre. Knoll propose l’A3 (ou “anticube”), une colonie de structures arrondies en forme de cosses avec un revêtement en maille translucide pour assurer l’intimité.

Herman Miller, une entreprise qui réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 1,5 milliard de dollars par an, lancera en juin deux concepts qui sont l’œuvre du designer Ball. Selon lui, ces nouveaux concepts sont l’aboutissement de plus de 30 ans de tentatives pour réparer ses premières erreurs. L’entreprise ne dévoile pas beaucoup de détails, mais les systèmes mettront l’accent sur la couleur et l’intimité ; Ball dit que les postes de travail  « ressembleront à des capsules, ou à un cockpit ». En tout, plus de 100 systèmes de bureau différents ont été mis sur le marché au cours des trois dernières décennies.

Alors qu’il est ouvertement contesté, le bureau ouvert a toujours le dernier mot. En Californie, les avocats employés par l’État ont obtenu un allègement du « cube » par le biais de l’alinéa 13.3 de leur contrat de travail : « L’État s’engage à faire un effort raisonnable pour fournir un bureau privé fermé à chaque avocat permanent à plein temps qui a des besoins de confidentialité ». Si un avocat est affecté à un « bureau privé autre qu’un bureau fermé », le syndicat doit en être informé. Pour ne pas contrevenir à la règle, explque la présidente du syndicat, Holly Wilkens, l’État place quelques jeunes avocats dans des placards où on étouffe.

Est-ce vraiment vers quoi nous allons ? Non, dit Stewart Brand, co-fondateur du Global Business Network, une société de conseil d’Emeryville, Californie, qui accompagne les entreprises sur leurs plans à long terme. Dans les années 60, juste au moment où Propst a dévoilé le bureau ouvert, Brand a créé The Whole Earth Catalog, qui est devenu la bible d’une vie respectueuse de l’environnement et a sans doute eu un effet bien plus bénéfique sur la culture américaine.

Il explique que les personnes les plus productives qu’il connaît ont trouvé des moyens de travailler en dehors des bureaux, et non dans les bureaux. Brand a lui-même travaillé pendant sept ans dans un conteneur maritime transformé à Sausalito et se rend maintenant sur un bateau de pêche échoué à quelques mètres de sa maison. Il voit deux espaces de travail s’élever pour concurrencer le bureau moderne : les habitations privées et ce que l’on pourrait appeler le « tiers lieu » – c’est-à-dire Starbucks.

Un exemple vivant de travail dans un « tiers lieu » est celui de Diego Guevara, un vérificateur de 23 ans qui travaille pour une grande compagnie d’hypothèques et d’assurances. Il y a peu, il a campé un après-midi d’hiver dans un Starbucks de Manhattan ; devant lui, sur le comptoir, se trouvaient un ordinateur durci, une calculatrice, une carte Wi-Fi et un bloc-notes jaune.

Alors qu’il utilisait un téléphone portable PDA pour vérifier un logement, Guevara a tapé les détails de ses évaluations du matin dans l’ordinateur portable, ce qui permettait de synchroniser les enregistrements avec une base de données au bureau de West Orange, N.J. Il ne se rend généralement au bureau que lorsqu’il a besoin de fournitures. Et la dernière fois qu’il a vu son patron ? « Avant Noël », a déclaré Guevara, ajoutant que son patron travaillait surtout à la maison.

Si le travail à domicile fait désormais partie de l’actualité, un très gros employeur qui semble de plus en plus sollicité sur ce point est le gouvernement américain. Le député Frank Wolf, un républicain dont le district de Virginie abrite de nombreuses fourmis ouvrières de l’Etat fédéral, a fait du télétravail son projet favori. « Il n’y a rien de magique à s’attacher tous les jours dans une boîte métallique pour se rendre dans un espace où l’on est assis derrière un bureau et où l’on travaille sur un ordinateur », a-t-il déclaré à une commission du Congrès.

Wolf voit le télétravail comme un moyen de réduire le trafic, de diminuer la pollution de l’air, d’augmenter la productivité et de frustrer les terroristes. En 2004, il a lancé une campagne visant à pénaliser les organismes gouvernementaux en leur retirant des fonds s’ils ne soutiennent pas le télétravail. Aujourd’hui, la SEC, le Département d’État, le Département de la Justice et quatre autres grandes agences sont tenues d’offrir à chaque travailleur éligible la possibilité de faire du télétravail.

Une enquête menée en 2005 par le Dieringer Research Group de Milwaukee a révélé que 26 millions d’Américains utilisent le haut débit pour travailler à domicile. Les représentants commerciaux et les consultants ont toujours travaillé à distance ; aujourd’hui, les financiers, les avocats, les administrateurs, les chercheurs et les créatifs le peuvent aussi. Tout comme l’infotechnologie a permis aux entreprises de délocaliser des fonctions de cols blancs, elle libère aussi les employés américains de leurs cubes.

Venir au bureau pour des réunions et une collaboration en face à face est toujours important, bien sûr, mais comme le souligne Brand, « les gens se rendent compte qu’ils n’ont pas besoin de temps en face à face tout le temps ».

Vous vous souvenez comment l’économie a contribué à transformer le bureau ouvert en un fléau ? Aujourd’hui, des géants comme Cisco Systems considèrent la « mobilité de la main-d’œuvre » comme un moyen de réduire les coûts immobiliers. Grâce à l’utilisation massive de la technologie mobile par les employés, explique Mark Golan, vice-président de l’immobilier, « nous avons découvert que les bureaux et les « cubicles » de Cisco étaient inoccupés 35% du temps ».

En passant à ce qu’il appelle l’espace de travail connecté — les employés installent des zones de travail partout où ils sont nécessaires dans l’immeuble — Cisco affirme qu’ils ont augmenté la satisfaction tout en densifiant l’espace de travail. Désormais, 140 employés peuvent travailler confortablement là où 88 travailleraient dans un espace de travail traditionnel.

Hewlett-Packard, qui a introduit un programme similaire, prévoit de réduire de 230 millions de dollars les dépenses annuelles d’occupation d’ici la mi-2007. La nouvelle économie du bureau ne va pas vraiment tuer le bureau ouvert. En fait, les ventes de mobilier de bureaux fonctionnels aux États-Unis ont augmenté de 11 % en 2005. Mais comme le bureau prendra une part moins importante du budget des entreprises, la part des bureaux ouverts dans la vie des employés sera également moins significative.

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »

Un commentaire

  1. Formidable, cette photographie de M. Hulot, tirée de Playtime. Oui, ce film est définitivement une ethnographie de la modernité, avec un clin d’oeil tout à fait humoristique ! Caricature ethnographique ou ethnographie caricaturale, c’est notre relation avec cet univers machine qui est toujours à reconsidérer. Univers machine loin d’être machinal, en tout cas.

    Le DVD Platime fait partie de ma vidéothèque personnelle. C’est un MUST ! Heureux de constater que d’autres âmes sensibles à Hulot et Tati sont dans les alentours !

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