Transformation digitale

les marketeurs tenus à l’écart de la transformation digitale

Avec Forrester

Au travers d’une nouvelle étude, que j’ai analysée en détail dans le blog du musée des horreurs de la transformation digitale de mon client iRevolution, Forrester a mis à nu la faible implication des marketeurs dans les projets de transformation digitale des entreprises. Un phénomène qui touche les États-Unis, mais aussi la France. J’ai voulu en savoir plus et j’ai interviewé Thomas dans les locaux de Visionary Marketing en début de mois.

Un constat clair et alarmant : les marketeurs tenus à l’écart de la transformation digitale

Notre étude a été menée auprès de 1700 marketeurs de divers secteurs, B2B ou B2C et dans plusieurs pays. Le constat est clair et alarmant : à peine 16% des directeurs marketing sont véritablement impliqués dans la transformation numérique de leur entreprise.

Cela veut dire que la transformation numérique est souvent menée par les équipes technologiques (IT) ou par de nouveaux rôles qui sont apparus, particulièrement en France, les CDOs.

marketeurs et CDO

 

Grands groupes et startups Musée des horreurs transformation digitale
Le musée des horreurs de la transformation digitale ayant hélas fermé ses portes pour cause de Covid-19, nous avons repris cet article du fait de son importance

La France, patrie des CDOs

Car c’est en France qui a le taux le plus important de CDOs (Chief Digital Officers) qui rapportent au COMEX, au PDG de l’entreprise. Ce sont de nouveaux rôles qui ont quelque peu empiété sur le rôle du directeur marketing. Celui-ci ne devrait cependant pas s’occuper que de marketing et de publicité, mais s’assurer que la promesse de marque est réalisée. Il doit donc être l’orchestrateur de l’expérience client au sein de l’organisation.

Pourquoi la France est-elle si éprise de ses CDOs ?

La transformation des entreprises prend du temps et suppose de modifier en profondeur les organisations. Or, en France on aime bien les modes de management verticales et hiérarchiques. Même si cela rend plus difficile l’adaptation agile à la vélocité imposée par le digital. Il y a eu aussi un effet de mode à un moment où tout le monde nommait son CDO , mais quel était son rôle exact et son budget, ça c’était une autre histoire !

Dans certains domaines, je pense à l’univers du luxe et de la beauté ou dans certains endroits où on a des marques emblématiques en France il y a encore un prisme très publicitaire, centré sur les spots TV / Produits et pas suffisamment sur l’expérience client ni les services associés à ces produits.

Les marketeurs toujours à la traîne sur la donnée

Ce n’est pas nouveau, il faut savoir de quelles données on a besoin et surtout comment agir dessus pour pouvoir personnaliser l’expérience. Si je caricature à l’extrême, on va voir d’une certaine façon l’IT qui va vouloir créer une infrastructure et un data lake, et finalement les équipes métiers marketing qui avouent avoir trop de données et ne pas savoir comment les utiliser pour personnaliser l’expérience client.

C’est caricatural parce qu’il y a un certain nombre de sociétés qui utilisent plutôt bien ces données et qui arrivent à personnaliser véritablement l’expérience sur plusieurs canaux. Mais c’est un des enjeux cruciaux : le problème de compétences, autour de la data de la technologie et des nouveaux canaux et la difficulté à recruter.

Les CMOs (directeurs marketing) sont les dirigeants qui ont l’ancienneté la plus faible au niveau des comités exécutifs, quand ils en font partie. Et ce n’est pas toujours le cas. Cela rend l’exécution plus difficile, notamment en termes budgétaires. Il y a aussi le ROI des campagnes.

Cette difficulté à placer le curseur d’une part entre la gestion du court terme et les dispositifs traditionnels, et d’autre part la nécessité de les faire évoluer en matière de réactivité et de mode opérationnel.

Peut-on dire que, même en 2019, les marketeurs sont décrochés d’un point de vue technologique ?

Sans exagérer, car il existe des directions marketing qui disposent de bonnes compétences, on observe une montée en charge des besoins de formation et aussi d’un besoin de faire évoluer l’état d’esprit.

Par ailleurs, il y a également, dans le CAC 40, une forte excitation autour des nouvelles technologies (l’intelligence artificielle, la blockchain, la réalité augmentée, …) et cela se transforme en POC et en pilotes, alors que sur beaucoup de sujets — comme le mobile — on va perdre de vue l’expérience client.

Comment mettre « le client au centre » dans ce contexte ?

Tout le monde est bien d’accord qu’il faut mettre « le client au centre » et qu’il faut adopter une approche d’ « expérience client ». Mais la question est de savoir comment mettre en œuvre cette vision. C’est un sujet qui concerne toute l’entreprise et pas seulement le marketing.

Si on considère un distributeur, la question va être de savoir comment je travaille avec mes équipes, comment je vais réaliser la formation des vendeurs en magasin, comment la logistique peut être améliorée pour tracer les produits, capter l’information et la diffuser en quasi temps réel…

Cela suppose de refondre l’informatique, de casser des silos. En fin de compte, ce n’est pas nouveau l’informatique et la technologie, c’est avant tout une question d’organisation et de culture. Il faut donc faire évoluer la culture de l’entreprise et faire en sorte qu’on repense le parcours client et que, en bout de chaîne, on utilise le digital pour créer une relation client.

Prenons l’assurance par exemple ou le client n’a que quelques contacts avec l’entreprise par an, notamment quand il reçoit sa facture, et éventuellement pour déclarer un sinistre. À l’inverse, le digital permet de créer une logique de relation client, de prévention des risques, de la fraude, de coaching et il peut s’insérer dans le quotidien du consommateur.

C’est finalement là que digital change la donne et qu’il amène à repenser ces notions-là comme une discipline d’entreprise transverse qui suppose une implication forte des employés.

D’où l’importance de l’expérience employés, à qui il faut donner les outils dont ils ont besoin. Le dirigeant doit aussi s’impliquer et aller sur le terrain, écouter les clients et appeler les détracteurs. Il doit incarner au yeux des employés, les valeurs de l’entreprise et de la mission de la marque.

Quels conseils donner aux marketeurs du futur ?

Dès la prise de poste, il lui faudra clarifier son rôle avec le PDG, définir ce qui est attendu de lui, et de quels moyens il va disposer. Notamment pour recruter les bonnes personnes, en particulier sur des compétences en données et en technologie.

Il lui faudra aussi rester pragmatique, démontrant, étape par étape, que les initiatives mises en place servent des objectifs marketing et répondent aux bons KPIs.

C’est une approche qui doit être très itérative et une philosophie différente qui nécessitent de changer l’état d’esprit de l’organisation et de faire que le marketing soit la voix du client au sein de l’organisation.

C’est facile à dire, mais plus difficile à exécuter. Pour cela, il faut des éléments tangibles et montrer en quoi certaines initiatives peuvent détruire de la valeur, car elles ne servent pas le client.

Le CMO a-t-il encore un avenir ou les CDO vont ils le ringardiser définitivement ?

Je pense qu’il va y avoir effectivement une reprise en main de ces sujets par les équipes marketing, car il ne s’agit pas que de travailler une promesse de marque, il faut l’exécuter.

On peut appeler le CMO comme on veut. On pourrait l’appeler directeur de l’expérience client ou directeur client, peu importe, c’est une fonction marketing. Donc, peu importe la terminologie, je pense que c’est à lui que revient le rôle d’être le chef d’orchestre de l’expérience client.

Ce n’est pas un changement de rôle pour les directions marketing qui ont toujours coordonné des équipes produits, des équipes de vente, des équipes de communication.

Quel avenir pour le CDO ?

Par définition la mission du CDO s’auto détruira, puisque le digital est très transverse et se diffuse dans l’entreprise.

Pour des entreprises qui sont en retard, c’est un poste extrêmement important. Il sert à sensibiliser, à mettre les moyens en place, à installer les projets et c’est pour cela que c’est important.

Dans les organisations plus matures par contre, il n’y a plus forcément de signaux et le digital est partout. Moi j’aime bien la citation de Stéphane Richard : « Les douze membres du comité exécutif sont les Chief Digital Officers de l’entreprise ». Je pense que c’est effectivement la bonne façon de voir les choses.

Le digital n’est pas une patate chaude qu’on se refile. C’est un sujet transverse sur lequel l’ensemble de l’organisation doit agir.

marketeurs - Thomas Husson

Thomas est vice-président chez Forrester et analyste principal au service des directeurs généraux du marketing. Il se concentre sur les innovations technologiques au sein du marketing et leur impact sur les stratégies, telles que le rôle « disrupteur » de la technologie dans la transition entre le monde numérique et le monde physique [source : Forrester]

Pour une analyse approfondie de l’étude de Forrester je vous conseille de lire l’article que j’ai écrit pour mon client iRevolution dont voici un extrait.

Marketeurs : arrêtez de subir la transformation digitale et reprenez la main !

Alors que la transformation digitale modifie en profondeur les métiers du marketing, le CMO (Chief Marketing Officer) sent peu à peu le changement (et le danger) arriver. Dans son rapport intitulé « CMOs: Define Your Role In Digital Transformation », Forrester met en garde les directeurs marketing : la transformation digitale offre certes la promesse d’une amélioration de l’expérience client, mais elle reste néanmoins une menace pour un directeur marketing parfois trop passif, dont l’espérance de vie est déjà limitée (elle est estimée à 4,1 ans en moyenne avec des variations selon les pays). Pour contrer cette menace, le CMO devra empêcher le département technique de l’entreprise de vampiriser le sujet, pour au contraire travailler de concert, avec l’expérience client comme indicateur de succès.

CMO et transformation digitale : verre à moitié vide ou à moitié plein ?

La transformation digitale est porteuse d’un paradoxe : elle lui apporte un afflux de leviers supplémentaires, tout en le mettant de plus en plus en porte-à-faux. Un constat verre à moitié vide / verre à moitié plein, que je vais vous détailler ici en m’aidant de ce rapport de Forrester.

Le verre à moitié plein : le digital, un moyen de réaliser le rêve de tout marketeur

Dans un bon verre de transformation digitale, on trouve pour tout directeur marketing une formidable opportunité de réaliser ce qu’il a toujours désiré : faire entrer la voix du client au sein de l’organisation. Les outils numériques permettent en effet de développer les interactions avec le client et récolter des informations qui étaient inaccessibles auparavant : applications mobiles, tchat, réseaux sociaux, clics, pages consultées, pourcentage d’abandons d’achats… les signaux, qu’ils soient faibles ou forts, pullulent et ne demandent qu’à être collectés et analysés.

S’ils sont correctement interprétés, ces signaux seront un moyen d’améliorer, voire de réinventer et réenchanter l’expérience client, en s’insérant dans le quotidien de l’utilisateur.

Le verre à moitié vide : un CMO en voie d’extinction ?

Malheureusement, au-delà des espérances se trouve la réalité. En premier lieu, ce chiffre : selon Forrester, seulement 16% des CMO sont impliqués dans la transformation digitale de leur entreprise. Ce pourcentage montre à quel point les CMO sont écartés du processus, en particulier quand on les compare avec les autres postes à responsabilités : 42% des responsables techniques sont impliqués dans la transformation digitale de l’entreprise, 40% des CTO (Chief Technical Officer), et 23% des CEO. Les CDO (Chief Digital Officer) font leur apparition dans les entreprises, et par conséquent, de l’ombre aux CMO.

Ces derniers, encore trop centrés sur la publicité et les canaux traditionnels (télévision, radio…), semblent trop démunis pour pouvoir contester la place du CDO et récupérer la charge de faire entrer la transformation digitale au sein de l’entreprise. Le rapport Forrester pointe ainsi un retard des entreprises dans la perception des enjeux de la transformation digitale. Il est par ailleurs bien difficile pour le service marketing de s’adapter à la vélocité du digital, mieux appréhendé par le département technique, qui en prend souvent la main.

Comment réconcilier CMO et transformation digitale ?

Cessons de nous questionner sur la façon de regarder notre verre, et voyons plutôt comment le remplir. Le CMO, quelle que soit la position où il se trouve, devra tôt ou tard récupérer le sujet au CDO où au département technique, si ce n’est pas déjà fait.

En effet, côté IT, la transformation digitale est vue par l’outil (le data lake, l’infrastructure, les big data). Côté marketing, l’afflux de données est souvent sous exploité, par manque de connaissance et d’expertise dans le domaine. Les responsables marketing en sont conscients, comme le souligne le graphique ci-dessus : 32% pensent que les compétences technologiques sont un des plus gros défis à surmonter. Le marketing a besoin de l’IT et vice versa : les départements doivent collaborer et les silos doivent être cassés.

La difficulté réside également dans le fait que la stratégie digitale ne peut s’exécuter que sur le long terme, alors que l’on attend un retour sur investissement rapide de la part du CMO. Or, une campagne de publicité sera bien plus efficace à court terme que, par exemple, la composition d’une équipe digitale chargée de croiser les données clients. Pour Forrester, le nouveau défi du CMO consiste à conserver un budget réservé aux actions à court-terme, portées sur le ROI, et investir en continu dans la transformation digitale de leur entreprise.

Pour ce faire, les ressources ne doivent pas être gâchées et le CMO ne doit pas se perdre dans la création de multiples POC (preuve de concept) et projets pilotes. Créer moins de projets avec une meilleure chance de réussite devra passer par une collaboration avec le département technique de l’entreprise.

CMO : un présent sombre mais un avenir qui s’éclaircit

Que deviendra le fameux CDO que nous mentionnions précédemment ?  Par définition, le CDO est une mission qui est vouée à s’arrêter. En effet, il y aura tôt ou tard une reprise en main du digital par les équipes marketing. Celles-ci semblent en prendre le chemin : selon Forrester, 22% du budget du CMO est consacré à la technologie. Cela représente le 3e pole de dépense, derrière le coût des campagnes et les salaires du service.

Le rapport de Forrester insiste également sur le fait que si le recrutement et l’appel à des prestataires externes seront nécessaires pour renforcer les compétences des équipes marketing, il ne faut pas négliger la formation en interne, tant dans la maîtrise d’outils digitaux que dans les changements de stratégie et de méthodologie. Forrester recommande une équipe marketing pluridisciplinaire avec par exemple des compétences en sciences sociales et en enquête de satisfaction.

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »
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