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La France peut-elle s’imposer sur l’échiquier digital américain ?

Silicon ValleyLa Silicon Valley, véritable terre de fascination pour tout entrepreneur, se caractérise par son pôle d’industries de pointe spécialisées dans l’innovation, le digital et les nouvelles technologies. Mais comment la Silicon Valley est-elle devenue le symbole d’inventivité américain ? Est-ce que la France peut devenir la Silicon Valley de l’Europe ? Pour répondre à ces questions, j’ai interviewé David Fayon, consultant en transformation digital et auteur de l’ouvrage Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique.

 

  1. En quelques mots, comment l’Amérique est-elle devenue leader sur le marché du numérique ?

« Plusieurs raisons ont conduit à ce leadership américain. Tout d’abord le rôle de l’armée et du gouvernement qui fut moteur, en particulier lors de la Seconde Guerre mondiale même si avant IBM avait commencé la mécanisation du recensement de la population. Et les années qui suivirent furent décisives avec le projet Arpanet par exemple.

Ensuite il existe d’autres facteurs comme le marché gigantesque de 325 millions d’habitants, fortement consommateur et avec une uniformité linguistique, le rapport à l’argent, au risque, etc. Ils sont très pragmatiques et orientés résultat et n’hésitent pas à mettre les moyens pour devenir leader sur un marché naissant et stratégique sur le long terme. C’est ce qu’ont mis en œuvre par exemple Amazon ou Facebook et plus récemment Snapchat, avoir une audience et la fidéliser avant de la monétiser.

Les Etats-Unis sont les leaders sur l’ensemble de la chaîne de valeur (matériel, logiciel, données) même s’ils se focalisent à présent plus sur les données où la valeur ajoutée est supérieure. Par ailleurs, les acteurs montants sont plus asiatiques qu’européens… Et l’Europe pourrait être spectractrice d’un match Etats-Unis vs Chine… »

 

  1. Quelle est la place de l’innovation dans la société américaine ? Cette place est-elle différente en France ?

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Quelle est la place de l’innovation dans la société américaine ?

« Etre créateur d’une start-up est plus la norme dans la Silicon Valley et les autres grands centres d’innovation aux Etats-Unis (New York, Seattle, etc.) alors qu’elle est l’exception en France. Si l’on crée son entreprise, que l’on prend des initiatives on est vite jugés comme atypique en France par les RH car on ne rentre pas dans les cases. Or la diversité tant des parcours que des profils constitue une source de richesse, notamment dans les grands groupes pour faire émerger une intelligence collective. En outre, l’échec n’est pas perçu négativement aux Etats-Unis. Il est l’occasion d’apprendre pour rebondir. Pour autant, l’innovation est présente aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. C’est le rapport à celle-ci qui change et le regard porté par la société qui diffère. Dans les sociétés latines, on reste nostalgique d’un passé glorieux qui est beau alors qu’aux Etats-Unis on se tourne vers le futur que l’on suppose meilleur et que l’on souhaite créer. Le passage à l’échelle est plus simple sur un marché de la taille des Etats-Unis lequel constitue un tremplin pour l’international. De surcroît aux Etats-Unis, outre la nouveauté qui est perçue positivement, c’est plus le dépassement de soi que le classement qui prime, l’orientation client est très forte et l’expertise est valorisée. Ajoutons qu’être fondateur d’une société est bien vu. »

 

  1. En France, quels sont les freins à l’innovation et au développement du numérique ? Les dispositifs actuellement mis en place sont-ils suffisants pour faire de la France la Silicon Valley de l’Europe ? 

« Les freins sont de plusieurs ordres, culturels, différentes peurs du top management de perte de pouvoir car le numérique est disruptif et redistribue les cartes. Et avec la conjonction du Web 2.0 et des smartphones multipliant le champ des possibles, la vitesse des changements est une menace pour certaines catégories de personnes, celles qui vont avoir leur métier ubérisé ou remplacé dans ses formes actuelles par des machines, des robots ou des algorithmes et ceux qui ont un pouvoir remis en cause par le libre accès à la connaissance entre autres. Pour autant dans le processus de destruction créatrice, de nouveaux pans de l’économie vont naître et prospérer. Le fait d’avoir peur de l’avenir, de se crisper, d’avoir une posture de repli n’est pas la bonne attitude.

La France ne sera jamais comme la Silicon Valley mais a néanmoins un rôle important à jouer (nous avons de belles réussites comme BlaBlaCar par exemple) si les start-up pensent dès le départ à la dimension internationale avec un passage à l’échelle qui se passe aux Etats-Unis avec des bureaux, des relais de croissance. Pour autant, ceci ne s’improvise pas. Par exemple à San Francisco, l’accélérateur The Refiners permet d’aider des jeunes start-up prometteuses : accès au réseau, méthodes de travail, code et culture américaine, etc. Une société même leader en France peut vite être éclipsée par une entreprise qui aura compris la nécessaire présence sur plusieurs continents comme ce fut le cas pour Viadeo et désormais Dailymotion. A contrario des entreprises comme Criteo (4e entreprise française à être introduite au NASDAQ) ou Sigfox ont vite compris l’intérêt d’une présence dans la Silicon Valley. Ajoutons aussi que les fonds levés aux Etats-Unis sont souvent 10 fois supérieurs pour une entreprise et parfois même plus. La France ne joue malheureusement pas dans la même catégorie. Comme le dit Carlos Diaz, la France fait des ponycorn qui sont des « Canada Dry » de licornes mais avec la taille d’un poney. Ceci implique de créer des entreprises dès le départ « cross border » présentes à la fois en France et aux Etats-Unis. »

 

  1. Une chaîne de valeur existe lorsqu’elle est huilée avec de bons outils. Selon vous, les outils actuels sont-ils satisfaisants ? Peuvent-ils être encore développés ?

« C’est plus le contrôle de la chaîne de valeur qui est stratégique. Ainsi Apple qui réalise deux tiers de son chiffre d’affaires avec l’iPhone, ce qui est intrinsèquement une source de fragilité d’autant plus qu’ils ne sont pas les numéros 1, maîtrise à la fois le matériel, le logiciel avec iOS et prélève sur les App de son écosystème une triple dime. Ils s’implantent désormais en Inde, marché gigantesque. Mais au-delà se positionne sur d’autres créneaux, le paiement (Apple Pay), etc. Pour Google, l’écosystème est encore plus vaste avec l’énergie, les transports, les télécoms, etc. et un axe fort qui est celui de l’intelligence artificielle. Amazon qui est peut-être plus discret s’étend chaque semaine un peu plus (rachat récent de la chaîne de magasins Whole Foods Market). Tous les GAFA sont dans une logique d’amélioration permanente avec le client au cœur, en particulier chez Amazon. La propension à quitter ces outils est rendue difficile au fil du temps maintenant qu’ils sont solidement implantés et cultivent leur position avec également des actions de lobbying pour que la réglementation ne leur soit pas défavorable mais au contraire l’influer dans le sens qui leur est favorable et au service de leur stratégie. Ce culte de la version Bêta permanente fait qu’une version est vite mise sur le marché mais n’est pas définitive et avec les retours des utilisateurs et l’ « intelligence de la multitude », le service est sans cesse amélioré (et à moindre coût en ayant l’opportunité d’être pionnier sur des marchés naissant pour vite conquérir des parts de marché). C’est très différent en France ou au Japon où c’est plus la culture de la qualité qui prime et non le fait que l’on apprenne en marchant. »

 

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Comment l’Amérique est-elle devenue leader sur le marché du numérique ?
  1. Citer moi des bonnes pratiques indispensables pour réussir sa transformation digitale en Amérique et également en France. Ces bonnes pratiques sont-elles différentes ? 

« Que l’on soit en France ou aux Etats-Unis, les leviers de la transformation digitale (technologie et innovation, organisation, personnel, offre, environnement) au service de la stratégie sont les mêmes mais leur dosage diffère. La technologie et l’innovation est aux Etats-Unis plus pragmatique et orientée usage que conceptuel, l’organisation plus facilement évolutive (je parle des entreprises et pas des administrations qui sont raillées dans le film Zootopia et d’une lenteur affligeante en moyenne), etc. Le personnel plus facilement mobile et les projets peuvent être arrêtés à tout moment si d’autres sont jugés plus stratégiques mais a contrario le marché du travail est dur. La personne est moins attachée à l’entreprise mais focalisée sur sa mission du moment. C’est le « at will » qui prime. Cette souplesse a aussi des inconvénients car beaucoup restent sur le carreau. L’environnement est mieux utilisé pour parvenir à ses fins (optimisations fiscales, juridiques, lobbying, etc.). Quant à l’offre, elle est plus focalisée sur les attentes du client et les innovations marketing émanent essentiellement des Américains. »

 

  1. Dans quelques années, comment voyez-vous le numérique en France ?

« Tout dépend le combien que l’on met derrière le « quelques ». Tout va très vite. La loi de Moore reste d’actualité. Malgré toute la communication qui est faite autour de la transformation digitale des entreprises (qui souvent est plus de la communication digitale ou de la migration digitale – ou numérique), les Etats-Unis ont globalement quelques longueurs d’avance qu’ils cultivent. Les 9 fantastiques (GAFAM + NATU) ont pris de l’avance et avec le cash qu’ils ont généré, notamment les GAFAM, ils ont la capacité de racheter des start-up dans les domaines qu’ils jugent stratégiques ou nécessaires pour faire évoluer leur offre et ainsi gagner du temps dans le « go to market ». Le politique en France malgré un rajeunissement n’a pas pleinement conscience du changement de civilisation induit et des nouvelles batailles à mener. On préfère légiférer, se mettre d’accord sur des terminologies ou encore tenter d’opérer un rattrapage côté système d’exploitation en ayant un outil souverain ou dans le cloud plutôt que de faire et de rendre possible des développements à l’échelle planétaire de domaines au sein du numérique où la France à des talents : Internet des objets, la robotique, l’algorithmique, les télécoms. »

Claire Sorel
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Claire Sorel

Claire was a Junior Web Marketing Consultant at Visionary Marketing from 2016-2018 _________________ Claire a été consultante junior en marketing Web chez Visionary Marketing de 2016 à 2018 More »
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