IA et Big Data

DMP et personnalisation : la preuve par l’exemple

Il est indéniable que la personnalisation revient au goût du jour. Les Big Data y sont certainement pour quelque chose, nous l’annoncions dans un article écrit pour Tikibuzz. Même si certains la trouvent assez bancale ou carrément insupportable, il est indéniable qu’elle est revenue au devant de la scène, alimentée par des technologies nouvelles et assez complexes et notamment la fameuse DMP (Data Management Platform) qui fait beaucoup couler d’encre. Vue par certains comme une panacée, et par d’autres comme le buzzword à la mode, elle avance – chaotiquement comme toutes les innovations – par à-coups vers le bon vieux marketing 1-to-1 désormais remis à la mode.

DMP : tour de contrôle Big Data de la personnalisation

DMP personnalisation
DMP personnalisation

Mais les exemples sont rares. Voilà pourquoi j’ai été particulièrement ravi de voir, lors du dernier social drink up de Adobe dont je suis un habitué, un véritable exemple bien étayé, de personnalisation temps réel 360° dans le domaine digital, avec une démonstration brillante d’un représentant de Danone.

J’ai pu reconstruire le parcours de sa démonstration et l’illustrer de quelques images prises avec mon téléphone. Mon seul reproche est de n’avoir pu voir de véritable démonstration concrète cependant. Les exemples concrets de vrais projets Big Data sont très rares, car peu nombreux sont les clients prêts à témoigner en public. Ne boudons donc pas notre plaisir.

La personnalisation : avant la DMP, la sociologie

DMP : Alexandre Azzopardi

La soirée fut introduite par notre ami et confrère Alexandre Azzopardi (photo ci-dessous), avec qui j’ai eu l’occasion de débattre plusieurs fois lors de conférences organisées par le CCM Benchmark Group. Alexandre a rappelé que « segmentation et marketing sont une vieille histoire ». L’approche quantitative date en effet des années 30. L’origine en est la sociologie). Et les deux mondes de la sociologie et du marketing se sont rassemblés autour de la statistique, qui s’est beaucoup développée jusque dans les années 50-60. En 1960 cependant il n’y avait pas les mêmes outils, car depuis, il y a eu « l’essor massif des médias puis de l’internet commercial et enfin des mobiles” a précisé Alexandre.

DMP : The Economist data deluge

On est passés de 1% à 73% de pénétration mobile entre 1995 et 2014, et la prédiction de 2012 s’est avérée juste : nous sommes enfin entrés dans le monde mobile où le Web mobile a dépassé le Web classique. Deloitte qualifie les consommateurs de digital omnivores, avec des différences selon les classes d’âges. Les français aussi utilisent beaucoup leur smartphone en magasin (64%), même l’achat via les médias sociaux serait en croissance (même si pour le coup je suis beaucoup plus sceptique, mais passons). Tout cela génère un déluge de données pour reprendre le titre de The Economist.

DMP : plus de campagnes, on part des attentes du client 

DMP : Vincent Luciani d'Augusta

Vincent Luciani, d’Augusta (image de gauche), société de conseil dédiée à la Data a poursuivi la présentation en campant le décor pour la démonstration de Danone (il s’agit d’un projet sur lequel les deux sociétés ont travaillé ensemble). Vincent a rappeler que « si on accumule la donnée et qu’on n’en fait rien” on perd son temps.

Alors, il faut repartir aux fondamentaux et notamment la segmentation. Segmenter, c’est regrouper les populations. Cette notion n’est pas récente, et les Big Data n’ont pas apporté de rupture sur ce plan. « Après le Fordisme, on a essayé d’adapter l’offre aux populations” a expliqué Vincent Luciani. Les premiers algorithmes sont arrivés dans les années 50-60. Ainsi, les principaux algorithmes utilisés par Criteo et les autres dates encore des années 60-80 ! Les GAFA, eux, en sont déjà au one to one et notamment Amazon.

4 types de changements sont observés par Vincent Luciani :

  • le type et volume de données ;
  • le temps réel : avant les réflexions sur les segments avaient lieu tous les 2 ou 3 ans, maintenant on peut les mener en temps réel ;
  • le nombre de segments : dans un CRM classique on peut communiquer sur une dizaine de segments, maintenant on peut brasser jusque des milliers de segments ;
  • l’activation : activation non plus sur un ou deux points comme le physique ou le mailing papier … (multiplication des points de contact, ou « touch points” en anglais).

Quelques points d’analyse et de vigilance dans un projet de DMP

  • AT&T : pour la campagne it’s not complicated, au lieu de faire une création, l’opérateur américain en a lancé 370 et ont labellisé chacune des campagnes (par types d’humour, par exemple) et ils se sont ensuite livrés à un calcul de corrélation entre l’humour et la vente. Les conséquences étaient contre-intuitives car la campagne “sarcastique” était notamment la plus efficace, contrairement à ce que l’on aurait pu croire ;
  • Analyse du parcours de conversion : au-delà du résultat, observer les segments qui n’ont pas répondu ;
  • LTV (lifetime value) chez un client qui fait des biens culturels : avant la segmentation, les achats étaient  dé-corrélés de la LTV. ex : les livres ne sont pas rentables, mais les clients qui achètent des livres le sont ;
  • Analyse du cycle de vie : ce qui est important c’est le passage d’un segment à un autre segment qui induit une évolution du besoin. Quand on vient d’avoir un bébé, par exemple, on est plus enclin à recevoir des stimulations de la part d’une marque (c’est ce qu’on appelle le Kairos (prononcer « Caille-Rosse« , le moment propice, nous a rappelé Henri Kaufman, ceci non plus n’est pas nouveau, la technologie permet cependant de systématiser et de fluidifier une méthode classique) ;
  • Distribution : les moments-clé sont ceux où on introduit une notion d’habitude client sur un espace temps. Au lieu de faire un push immédiat, on identifie le meilleur moment. Par exemple envoyer des messages à des heures différenciées en fonction des habitudes de shopping des clients par exemple.

Il y a 3 phases dans un projet de données a poursuivi Vincent Luciani : la collecte, l’analyse et enfin l’activation. « Avec la DMP, on éradique la notion de campagne, on part des attentes des clients pour le solliciter ».

Pour ce faire, il existe 2 pistes pour unifier le parcours client :

  • Google (maps/shops/moteur de recherche/publicités…). Facebook fait cela également. La seule chose que les deux géants n’ont pas ce sont les transactions (mais ils s’y intéressent de près). A l’inverse le fait que les données soient dans les mains de ces deux ogres de l’Internet effraie, par complètement à mauvais titre, beaucoup de clients ;
  • Une mosaïque de startups : tapvalue/drawbridge/liveramp/datalogix … le problème étant qu’avec les cookies on ne retrouvera pas plus de 20% des personnes. C’est un grand challenge, et c’est pour cela que les GAFA ont un énorme avantage sur le reste du monde.

Autre défi : réconcilier la segmentation top down et la segmentation bottom up : les personnes qui savent faire ça sont ceux qui ont une bonne notion des statistiques, du marketing et de la segmentation, des nouvelles technologies Big Data (Hadoop, Nosql…) et si possible, du développement en Java et en C++. Les profils sont donc rares. Même s’il commence à exister des M1 à l’ENS Cachan, Ensae, agro Paristech etc. Toutes ces écoles ont commencé à former ces gens.

DMP et Danone : le projet Dan’on

Guillaume Guyard fut notre dernier présentateur et celui que vous attendez tous depuis mon introduction. Il représente Danone, où il travaille depuis 4 ans en tant que « head of digital & CRM”. Sa présentation s’est basées sur un projet de Big Data basé sur une DMP, orienté sur le parcours client dans les produits ultra frais. Le but ici est de promouvoir ces produits au travers de recettes qui les utilisent (précision utile car en fait, dans cette présentation, on parle plus de blanquette de veau que de yaourts). Dans cet exemple, on part d’un scénario simple d’un client (Jean) qui va voir une recette de blanquette de veau sur le site Dan-on et on va suivre son parcours sur plusieurs jours.

Le segment d’audience est le graal du marketeur, mais il peut aussi se transformer en cauchemar

Le point de départ de ce projet de 24 mois initié avec la société Augusta, c’est le concept de “people-based marketing” : l’idée est de se dire comment au fur et à mesure des actions de mes clients, la marque va accumuler de la data qui va servir sur le CT/MT/LT. Le point de Guillaume Guyard est de dire que ce projet doit autant servir le client que la marque. C’est peut-être du marketing mais j’ai trouvé l’idée séduisante.

légende: un projet de DMP basé sur le parcours du client
légende: un projet de DMP basé sur le parcours du client (avec Guillaume Guyard de Danone)

Le point de départ c’est la fragmentation de l’audience : comment savoir à quoi le prospect a été réellement engagé. Il peut avoir été touché par :

  1. du display (vue effective : c’est une notion importante. Probablement 60% qui ne sont pas vus selon Google)
  2. du Search
  3. de l’Opt in
  4. un événement sur le site Web
  5. le marketing direct dont l’email
  6. la gée localisation et le géo fencing
  7. la radio numérique géolocalisée
  8. etc.

24 mois de travail sur l’écosystème Danone existant ont été nécessaires afin de taguer l’ensemble du capital digital de la marque. Ceci a permis de mettre en place ce fameux dispositif orienté client.

La DMP est nourrie de tout un ensemble d'actions, même en dehors du Web
La DMP est nourrie de tout un ensemble d’actions, même en dehors du Web

Avant de pouvoir activer la personnalisation au travers de la DMP, le travail préliminaire sur le capital digital de Danone a consisté notamment à :

  • taguer l’ensemble des assets (15 à 16 assets Web) ;
  • Danone (comme tous les fournisseurs en grande distribution) ne maîtrisent pas la distribution donc dispose de peu de data. Ils ont donc branché des Web services sur le couponing (avec Highco data). Ce dispositif fournir toutes les données RFM (Récence/Fréquence/Montants) ;
  • préparer les collectes via le direct marketing / routage emailing ;
  • le tagging sur des assets sociaux avec Radarly (Linkfluence).

« C’est le minimum” a indiqué Guillaume Guyard. Il serait en effet faux de croire qu’un projet Big Data est magique. Il faut aussi et surtout beaucoup préparer en amont. Mais cela ouvrira de nouvelles perspectives. Guillaume Guyard a notamment prédit que “la prochaine révolution sera celle d’acheter de manière programmatique les spots TV en numérique” un peu à la manière du RTB car tous les spots sont en numérique et il devrait être bientôt possible de programmer des spots en fonction d’événements et de peupler les programmes via des achats par enchères comme en Real Time Bidding (RTB).

La DMP comme tour de contrôle de la personnalisation du parcours client

Danone a passé des accords partenariaux avec des sites comme 750g.com. Dans ce cas, la donnée collectée n’appartient pas à la marque. On inclut un tracker et on le met dans la DMP, ce qui permet d’activee les annonces en temps réel via le Danon Bid Management Tool. La DMP va pousser une annonce sur Google avec la recette de blanquette de veau que Jean a visitée. S’il clique on récupère la donnée depuis le site de la blanquette de veau (le but de Danone est d’étendre le marché en allant au-delà des produits ultra-frais en choisissant des recettes de marques partenaires où on retrouve ces produits) : consultation, heure, temps etc. (via des outils Web-centric). Le lendemain, retargeting de Jean avec des suggestions de nouvelles recettes. Avec la DMP on peut aussi pré-cocher des cases dans un formulaire en fonction de ses statistiques. Toutes les données sont anonymisées car la loi l’impose.

DMP personnalisation
DMP et personnalisation : exemple de flux de scénario à gauche. A droite le paysage DMP, encore complexe et très hétéroclite

Jean reçoit ensuite un mail personnalisé / transactionnel et va cliquer sur un bon de réduction danette. on en récupère les informations au moment de l’activation du coupon. Puis il clique sur une publicité qu’on lui a poussée pour télécharger l’application Dan-on. Maintenant il devient un membre multicanal du programme Dan’on. Il partage les recettes et devient un membre du earned media et peut même être recruté pour être un ambassadeur de la marque.

 Légende : Jean imprime son bon de réduction … mais il active aussi des actions au sein de la DMP
Exemple de personnalisation : Jean imprime son bon de réduction … mais il active aussi des actions au sein de la DMP

Ceci n’est qu’un scénario marketing. il y en a beaucoup d’autres nous indique le responsable CRM de Danone. Une des difficultés majeures cependant, est qu’il reste, au-delà du discours, difficile de réconcilier mobile et desktop, sauf peut-être dans l’univers Facebook.

Un projet de DMP comme celui-ci est tout sauf magique. « C’est beaucoup de travail” nous précise Guillaume Guyard, et d’ajouter les enjeux principaux du projet :

  • le RACI (la responsabilité ou le “qui fait quoi?” du projet; car il y a une pluralité d’intervenants, d’agences médias, de prestataires, de fournisseurs de techno … Rien de nouveau ici, c’est du classique ;
  • il faut bien définir les objectifs marketing : si c’est bien fait on arrive rapidement sur un paysage DMP foisonnant qui répond à des besoins marketing différents. « Il faut de l’humilité” pour aborder ce genre de projets ajouter Guillaume ;
  • ne pas croire qu’une DMP est une solution magique ni automatique. Il faut encore créer des tables de correspondance etc. Il y a aussi beaucoup de différences entre les outils de mesure : ad server / web centric / DMP tout le monde voit midi à sa porte ;
  • nommer un chef de projet pluridisciplinaire (paid / owned / earned) : le digital s’est vraiment spécialisé. Il faut surtout bien connaître les solutions de monétisation des médias sociaux (earned). Après chacun est spécialisé sur sa partie, le chef de projet doit orchestrer tout cela ;
  • construire en amont ses KPI ;
  • capabilités techniques / financières / RH ;
  • qui opère la DMP ? insourcée ? outsourcée ? Il faut bien réfléchir en fonction du niveau de confidentialité et d’autonomie requis.

Au delà de la prouesse technique, des études ont été menées pour vérifier l’impact sur le client, mais il est difficile d’en savoir plus à ce stade. C’est la dure loi du sport dans ce domaine des Big Data : peu de clients vont au-delà du test, et ceux qui passent le pas vont rarement témoigner afin d’éviter dévoiler leur batteries ou des données de projet stratégiques. Il faudra donc nous contenter de ce que nous avons ici et en déduire le reste. Toujours est-il que cela permet de voir l’ampleur d’un projet comme celui-là. Même s’il est difficile de le chiffrer avec précision, il m’est avis – après en avoir discuté avec Alexandre Azzopardi – qu’un projet de ce type puisse coûter entre 500-700k€ sans compter les ressources internes en coût complet. Retour sur images dans quelques années pour voir le ROI de ces actions une fois l’innovation digérée.

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »
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